NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant
Enfin, quelqu’un sur le pont crie le mot magique : "terre
!"
Je monte sur le pont pour vérifier, et on s’embrasse,
on saute de joie, puis on s’approche.
Elle est magnifique cette terre verte de la mer jusqu’au ciel, découpée avec des aiguilles qui montent directement de l’eau à 1200 mètres vers les nuages dans un splendide coucher de soleil..
Il nous faudra encore quelques heures avant d’atteindre l’èle
car le vent faiblit de plus en plus.
Le soleil se couche et au clair de lune, au milieu des falaises à
pic, le bruit des cascades que l’on devine Kurma fait son entrée
dans la plus belle baie du monde la baie des Vierges en se guidant
sur quelques lumières de bateaux à l’ancre. Je
jette l’ancre et, demain, nous verrons bien !
(très impressionnante cette arrivée de nuit).
La plus belle baie du monde, nous l’avons regardée au lever du jour, et pendant des heures, sans bouger, le nez en l’air. Vous la décrire serait une utopie, mais je vais essayer.
Tout est vertigineux !
Tout autour de nous, des montagnes recouvertes d'une végétation
d’un vert qui nous surprend tant il est foncé, tombent à
pic dans la mer comme des monolithes sur lesquels sont accrochés,
on ne sait comment, des cocotiers.
L'eau jaillit de partout, et descend en cascades sur des centaines
de mètres.
Au fond de la baie s'étend une plage de sable.
Le soleil effleure le petit village endormi sous les cocotiers.
Tout autour de ce village, un jardin naturel.
Si l’Eden existe, ce doit être ici : des orangers, mandariniers,
pamplemoussiers, bananiers… Tout cela par centaines.
Dans la montagne, des vaches broutent l'herbe accrochée dans
la pente d’un pré. On voit aussi des troupeaux de chèvres
sauvages, des cochons, et, dans le village, des poules sauvages (comme
elles sont en liberté, on ne sait plus à qui elles
appartiennent !)
Enfin, des légumes plus ou moins cultivés, genre tarots,
concombres, choux. Dans les ruisseaux, des centaines d’écrevisses
et dans la mer, des poissons en abondance.
A terre, pas de maladie, pas de moustiques, pas de serpents… Ici,
on marche pieds nus.
Tout est bien comme Jacques Brel l’a décrit, le temps
s'arrête aux Marquises, mais lui
n’était pas dans cette île... et les autres îles
ont bien changé.
Le nom de celle-ci est Fatu-Hiva, et Kurma a mis l’ancre dans
la Baie des Vierges (Hanavavé en polynésien).
C’est vraiment l’endroit le plus beau du monde.
Si beau que je suis resté deux jours à bord, sans mettre
le pied à terre, fasciné par le paysage, et désireux
de ne pas abîmer ce paradis.
Mais ne le dites pas trop car un jour, les hommes "civilisés"
trouveront le moyen de remplacer les chevaux par des voitures !
Tout à coup, nous entendons des appels, et je vois deux têtes
arriver à la nage. Je ne vais pas les laisser dans l’eau
car la plage est au moins à
500 mètres !
Je détache l’échelle pour leur permettre de monter
et une fois à bord, il s'avère que mes deux têtes
sont féminines et rigolent comme des folles de ma surprise.
Et toute cette distance juste pour faire connaissance et nous inviter à
terre !
Bien sûr, mon amie leur fait visiter le bateau et leur offre
quelques babioles.
Nous décidons de les ramener à terre après qu'elles
aient demandé à mon amie si elle est "d’accord
pour leur prêter le POPA", c'est-à-dire moi, et
tout le monde part dans un grand fou rire.
Descendre à terre est un peu acrobatique à cause de la houle qui déferle sur la plage, mais nous commençons à être rodés. Et nous voilà marchant vers le village sur le chemin bordés d'arbres qui croulent sous leurs fruits. Les enfants font la cueillette.
Nous faisons la connaissance d'un couple d'autochtones, Jacques
et Félicité, qui se prennent d'amitié avec les
enfants.
Jacques m'emmène à la chasse à la crevette la
nuit dans un ruisseau. Alors, avec mon harpon, ma lampe à pétrole
et mon panier accroché sur le dos, je ne peux pas dire que
j'ai détruit l'écologie de cette rivière ce
soir là... car j'en ai raté beaucoup !
Heureusement, Jacques n'est pas aussi maladroit.
En passant devant une grotte "tabou", il me raconte en chuchotant
qu'il y a cinquante ans... son arrière grand père mangeait
ses ennemis. Ce n’est donc pas très vieux !
Et puis les missionnaires sont arrivés. Aujourd’hui
tout le monde va à la messe deux fois par jour…
Youkoulélé
Jacques joue du youkoulélé, instrument doté de
seulement quatre cordes et deux octaves, et dont les performances
n'égalent pas celles de la guitare, à moins
de jouer comme l'hawaïen Jake Shimabukuro ! Il essaie
donc la guitare de Fab, et nous passons des moments agréables.
Les requins
Il m'arrive souvent de plonger dessous le bateau pour vérifier
mon mouillage et c'est très drôle de voir les requins
se balader sur le fond pour faire le nettoyage et se disputer avec
des tas de poissons multicolores pour être le premier.
Quand je réussis à tirer l'un deux avec mon fusil
harpon, il me faut faire très vite pour le mettre dans le
dinghy car le remue-ménage du poisson au bout de ma flèche
est comme un signal pour cette bande d'affamés. Nous ne nous
attardons guère au même endroit. En effet, les requins
sont très intelligents : ils comprennent vite que le
déclenchement de ma flèche est la raison du futur casse-croûte.
Dès cet instant, il vaut mieux aller voir ailleurs, à moins
de vouloir jouer avec le feu, ou du moins avec les requins de
plus en plus nerveux et qui se tiennent juste à la bonne distance
pour être les premiers.
Cinéma
Le modernisme est également venu jusqu’ici car, une
fois par mois, la goélette amène des cassettes vidéos
et tout le village se fait une soirée cinéma dehors,
assis par terre.
Pour une fois, on met en route le groupe électrogène
qui, normalement, ne sert que pour permettre le fonctionnement de
quelques congélateurs privés, mais seulement 2 ou 3
heures par jour pour économiser le gasoil.
Le film commence. Mais le son est très mauvais, personne ne
comprend rien, mais peu importe ! On regarde les images et tout le
monde rigole comme des fous, et s'il y a une scène de baisers, c'est le délire!!!
C’est vraiment bien de pouvoir se baigner dans le grand bassin au pied
de la cascade, et découvrir fleurs et fruits sauvages au bord
des chemins, dans la verdure.
Le grand-père de nos vahinés, qui nous ont si gentiment
accueillis, décide de nous emmener voir son jardin. Nos copains
de "Clos-d’eau"
se proposent pour garder les enfants, car cette balade se fait à pieds
pour le Marquisien et moi, et à dos de cheval pour mon amie
car, au retour, nous serons chargés de légumes et fruits.
Nous sommes vraiment surpris quand notre ami nous annonce : "Voici
le jardin !"
Nous regardons : Au milieu d’un foisonnement de verdure, il
y a des salades, des légumes de toutes sortes et des fruits
dont il remplit nos paniers qui vont faire notre bonheur et ceux
des enfants.
Puis il nous explique la culture de la vanille et nous explique comment
faire se reproduire le fameux pistil.
Nous quittons ce jardin et redescendons au village bien chargé.
Tout ceci est payé à la mode du coin par des échanges
du genre vêtements qui ne vont plus aux enfants, ou lampe à pétrole,
ou petit matériel pour la pêche.
Puis, comme nous devons partir demain très tôt, je
vais me renseigner auprès du chef de village si, pour une
nuit, je peux utiliser la bouée qui sert à amarrer
la goélette une fois par mois.
Il me donne son accord et me certifie que le corps mort est solide.
Je prends donc le temps de remonter mon mouillage et le ranger, puis
nous allons nous amarrer à la bouée.
Au beau milieu de la nuit, je me réveille et m’aperçois
que les rafales de vent nous ont poussés presque à l’extérieur
de la baie.
Je pense que le cordage trop vieux a cassé ! Mais non ! Nous
avons emmené la bouée avec nous et le corps mort soi-disant
sans problème. Je me trouve donc dans l’obligation de
tout ramener à sa place avec mon moteur.
Quand je peux de nouveau poser la bouée, il est 5 heures du
matin et temps de partir vers les autres èles.
Direction le nord avec un gentil alizé.
Nous arrivons à Hiva Hoa à Atuona. Le mouillage n’est
pas très confortable, surtout avec des amarres au quai et
l’ancre, mais nous allons être souvent à terre
pour visiter.
Un tour du village pour vérifier l’emplacement de l’épicerie, voir s’il y a du pétrole pour notre cuisinière et aussi de l’alcool à brûler pour le préchauffage. Et là, à notre grande surprise, nous trouvons de tout, et le plus marrant, c’est l’alcool à brûler. Celui-ci a une drôle de couleur rouge (à l'époque, l'alcool n'était pas coloré en France). Je demande pourquoi, et j’apprends que ce produit est coloré pour empêcher de le boire ! Il parait que certains ici le faisaient !
Puis, nous visitons le cimetière, la tombe de Gauguin et celle de Brel. Des amis de rencontre, un jeune couple d’instituteurs français, nous emmènent avec une des rares automobiles de l’èle voir les plus grands Tiki (totems) de Polynésie.
Aujourd’hui, c’est la fête :
Personne ne travaille
car la goélette Aranui arrive avec ses colis et tout le monde
est sur le quai comme au spectacle.
Il faut dire qu’il agit
vraiment d’un spectacle : le cargo reste ancré loin
du quai, et pour le décharger, on utilise une grue qui est à
bord, et, sur deux pirogues reliées par des planches, on charge
le matériel et on rejoint le rivage. C’est spectaculaire à
cause de la houle qui est très forte, on s’attend toujours
à voir le chargement tomber à l’eau, mais ça
marche et le spectacle est total quand il s’agit d’une
automobile !
Tout le monde retient son souffle, surtout le propriétaire,
et sûrement quelques jaloux espèrent qu’elle n’arrivera
pas jusqu’au quai, ce qui est déjà arrivé !
Une journée bien remplie pour tous, et le petit épicier
n’a pas le temps d’ouvrir ses cartons que tous se servent
déjà
!
Nous partons ensuite vers Nuku Hiva plus au nord.
Nous arrivons dans la baie de Taiohae et, comme par hasard, nous
avons notre premier contrôle de papiers en Polynésie.
Deux gendarmes nous attendent pour notre entrée officielle
car bien sûr, ici, ce n’est pas la France !
Ce ne sera pas long, et nous allons voir des amis sur un bateau arrivé avant nous.
Ceux-ci me racontent que leur SATNAV a
refusé de fonctionner pendant la traversée du Pacifique
pour la simple raison... qu'il n'y a aucun satellite au-dessus du
Pacifique !!!
Et ils étaient bien heureux d'avoir pu se souvenir comment
faire le point au sextant !
Le lendemain, nous sommes à la recherche de gaz butane
et nous appliquons la méthode "débrouille"
car ici, il n’y a pas de
camping-gaz. Nous louons donc une grosse bouteille de douze
kilos pour remplir nos quatre kilos, je vous donne la technique
qui marche même si c’est un peu dangereux, mais
il faut bien un peu vivre dangereusement.
Il faut pour ça deux embouts, un se fixant sur la
grosse bouteille, et l’autre sur la petite.
Attention pas de détendeur, et un tuyau pour relier,
le gaz étant liquide. Vous mettez la petite bouteille
dans l’eau debout, et branchez la grosse à l’autre
bout, mais la tête en bas. Vous ouvrez la grosse et
laissez faire. Plus l’eau est froide, plus ça
va vite. En soupesant la bouteille qui se remplit, vous sentez
la différence, ça fonctionne, pas vraiment à
cent pour cent, mais c’est efficace.
J’utiliserai cette méthode plusieurs fois sans
problème, même pour des amis car ensuite j’ai
acheté une grosse bouteille pour avoir une réserve.
Un soir, avec d'autres amis navigants, nous décidons de nous
offrir un restaurant.
Un couple de français a repris, pour la durée des vacances
de ses propriétaires, un hôtel-restaurant qui domine
la baie.
Nous passons une belle soirée car le cadre et le couple sont
sympathiques.
Et puis, il se met à pleuvoir comme souvent le soir ici, et
nous retournons donc chacun à notre bateau.
Sur le chemin du retour, je quitte mes chaussures et marche pieds
nus. Je ressens soudain une forte piqûre au pied et ne sachant
pas de quoi ça provient, nous rentrons au bateau. Je passe
une nuit horrible. Ne sachant quoi faire, nous décidons d’attendre
jusqu’au matin. Je cours alors au dispensaire, et là,
on m’apprend que je me suis fais mordre par un "cent
pieds", un scolopendre. Pour les enfants et les personnes
ayant des problèmes cardiaques, cette piqûre peut être
mortelle ! Hé bien, je regarderai où je marche dorénavant
!
Et de nouveau, nous voilà sur la route (enfin, en mer… !).
Nous ne nous arrêterons pas à Ua Pou, pourtant impressionnant
avec tous ces pics qui se dressent, mais nous avons hâte de
rejoindre les Tuamotus et l’èle de Manihi.
Manihi ! Tuamotu !
Une passe pas large, mais claire, et ensuite un quai minuscule pour
nous accrocher et être au centre du petit village. Il n'y
a pas grand-chose, mais nous ne sommes pas là pour faire
des achats.
Nous allons nous balader sur l'èle et découvrons vers
la pointe un gros tas de nacre en train de pourrir au soleil :les
pêcheurs doivent les jeter là !
Il faut préciser que Manihi est entouré d'un lagon
magnifique où l'on cultive les fameuses perles noires.
Nous visitons une ferme : c'est l'endroit où l'on prépare
les nacres. Les plongeurs vont les cueillir vivantes et des spécialistes
les ouvrent doucement, juste un peu pour pouvoir avec des pinces
longues et fines y incruster un grain de sable qui deviendra avec
le temps une perle, car la nacre va fabriquer justement de la nacre
sur ce corps étranger.
Hé oui, on force la nature… mais ne vous inquiétez
pas,
ça ne marche pas à tous les coups et la nacre arrive à
rejeter le grain de sable ou refuse de faire une perle et rend tout
simplement un truc difforme.
C'est pour cette raison que leurs prix ne sont pas à la portée
de tout le monde.
Nous allons aussi avec Kurma faire un tour dans le lagon car il
est vraiment beau, et l'eau est d'une clarté
incroyable. Avec des millions de poissons de toutes les couleurs,
on nage dans un aquarium. Il faut faire attention aux cultures de
nacres et surtout où on met notre mouillage pour ne pas déranger
tout ce petit monde. Quelques requins de lagon vivent aussi ici,
mais ils ne sont pas agressifs.
Un pêcheur nous fait découvrir un piège à poissons
fabriqué avec des nattes fixées verticalement en forme
de cône : les poissons, sans s'en rendre compte, entrent dans
ce piège et ne trouvent plus la sortie. Il suffit alors à notre
pêcheur d'aller le soir chercher son casse croûte et
pas besoin de frigo :il laisse les autres pour le lendemain, c'est
toujours frais du jour !
Le beau temps nous invite à profiter, et je fais de nouveau route vers le sud, direction le plus grand atoll de Polynésie. Mais nous longeons l’atoll de Ahé qui, pour la petite histoire, était l’èle où le grand navigateur Moitessier s’était installé avec l’intention de faire pousser des légumes dans le sable et sans eau. Malheureusement, le cyclone ne lui a pas laissé le temps de voir les résultats.
Après une nuit de vent d'alizé
soutenu, nous apercevons les cocotiers.
Bientôt nous voilà devant la passe, bien balisée,
mais comme à notre habitude, nous n'arrivons pas au bon moment
: une grosse vague nous attrape pour nous porter vers l'intérieur
sans que je trouve rien à faire à part me cramponner à la
barre et rester droit, car le bateau est parti au surf et je ne pense
pas que le moteur m'ait beaucoup aidé.
Nous arrivons tout de même dans cet immense lagon, environ
80 kms de long par 25 de large, une vraie mer intérieure.
J'apprends que, par fort coup de vent, la mer passe par-dessus la
barrière du côté au vent, et cette immense bassine
se remplit et a du mal à se vider. Résultat : le niveau
d'eau à l'intérieur est plus haut que l'océan
tout autour, ce qui crée dans la passe un courant et une belle
vague.
Nous ancrons Kurma dans un coin pas trop caillouteux car le vent
est tout de même là et il y a de la houle. Nous allons
au village visiter les échoppes, pas nombreuses, et prendre
la température du coin.
Le lendemain, nous partons dire un petit bonjour à un radio-amateur
qui habite ici et avec qui j'ai eu quelques contacts radio pendant
la traversée.
Nous finissons par trouver son territoire, un peu à l'extérieur
du village. Il nous accueille chaleureusement avec sa famille et
nous propose de profiter du couchage : un véritable lit à baldaquin
avec moustiquaire planté sur la plage face au lever du soleil
! le pied !
Leur petite fille fait de la place dans sa chambre pour les mousses
qui vont devenir ses copains.
Nous passons la soirée à raconter nos aventures et
eux nous montreront pourquoi ils vivent sur cet atoll.
Il fait partie d'un centre de surveillance des tsunamis et des tremblements
de terre dans le Pacifique et, sur Rangiroa, une antenne enregistre
constamment les perturbations et permet d’intervenir auprès
des habitants des pays et èles dans tout le Pacifique en cas
de danger. Je visite donc ses équipements qui, grâce
aux panneaux solaires et à un énorme stock de batteries,
est autonome 24 heures sur 24, les enregistreurs fonctionnant en
permanence.
Nous constatons aussi les dégâts subis par son bateau à
moteur lors du cyclone qui est passé sur la Polynésie
il y a 6 mois et qui a dévasté une bonne partie de
l’èle et de villages, comme Ahé, par exemple,
mais aussi jusqu'à
Tahiti.
Beaucoup de promenades dans ce grand lagon très peu habité
et où la plongée est un vrai régal dans cette
eau transparente. C'est ici que je réussis l’exploit
de descendre pour la première fois en apnée à 25
mètres de profondeur (vérifié
au sondeur) pour vérifier mon ancre . J’étais
fier de moi ! (bon, j’ai les chevilles qui enflent). Mais 25
mètres, pour le polynésien moyen, c’est juste
l’apéro !