Kurma, mon tour du monde en voilier
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Traversée du Pacifique (6-25 juin 1983)

NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant

Coucher de soleil sur le Pacifique

La grande traversée

10 heures du matin.
Départ des Galapagos... La Grande Traversée... et pronostics comme au foot : maxi 3 mois, mini un mois…
Kurma est paré, l’équipage aussi, on fait notre prière à Neptune et on y va !
Premier jour, un petit coup de vent pour nous rappeler comment marchent le bateau et les voiles, et aussi pour goûter la température de l’eau. On est bien mouillés, Neptune est content !
Poussé par un bel alizé, je fais route vers le sud, pas trop quand même, juste assez pour continuer à avoir du vent qui deviendra par moment assez costaud. Mais Kurma marche très bien à cette allure et je dois tangonner presque tout le long.
Cette traversée sera la plus chouette et la plus rapide que nous ayons faite : nous sommes fiers d’avoir mis seulement 19 jours et demi. Je tiens à cette demi-journée car à notre connaissance aucun bateau, sauf Ultramarine, un bateau de course beaucoup plus grand, n’a mis moins de temps.

Rencontre au cœur de l’Océan

Une petite anecdote à propos de ce bateau : son propriétaire me contacte par radio, il m’apprend qu’il est parti un jour après nous, et me donne rendez-vous à tel endroit sur la carte car il fait la même route, mais comme il est à bord d'un swan 64 avec équipage (autant dire la Rolls des mers), il n'a pas de mal à aller plus vite. De plus il navigue à l’aide d’un satellite pour faire le point. J'accepte quand même le rendez-vous, et on commence la course, comme si le Pacifique, c’était l’autoroute Paris-Bruxelles.
Et ça a marché !
Le 13 juin, à la moitié de la traversée, c'est à dire 3000 Kms plus loin, par forte houle et fort vent, je l’aperçois derrière moi. Il ne m’a pas vu. Alors, par radio, je lui annonce que je suis là, et nous nous rencontrons ! De grands" bonjour !", et quelques s pour immortaliser l’instant !

Temps couvert dans le Pacifique
Le temps n'était pas au beau ce 13 juin 1983

Nous nous quittons en fin de journée après s'être fixé un nouveau rendez-vous à Nuku-Hiva. (Nous raterons ce rendez-vous, car nous avons décidé de faire route directe sur Fatu-Hiva).

Tout le matériel souffre beaucoup car la houle est forte (les vagues atteignent 2 ou 3 mètres de haut) et le vent costaud, mais nous n’allons pas nous plaindre. Je dois vérifier chaque jour tous les points de frottement des cordages et des voiles.
Le 14 dans la nuit, la drosse du pilote automatique casse ! Je passe quelques heures à la changer, accroché à l’arrière du bateau pendant que mon équipière tient la barre.
Le lendemain, c’est la drosse de grand-voile qui nous lâche. Je tente d’aller en tête de mât pour la changer mais, arrivé là-haut, je suis tellement secoué (car il faut continuer d’avancer pour ne pas trop subir la mer) qu'après pas mal de sueurs froides, j’abandonne mes acrobaties et redescends sur le pont. Je décide alors d'utiliser une autre drisse et nous continuons notre course folle vers les Marquises.

Une grande frayeur

Cette nuit, nous sommes allés très vite (190 milles)... mais dans la bonne direction !
Vers les dix heures, je fais le point avec mon sextant en acrobate sur cette mer formée et je donne les coordonnées à mon équipière qui est devant la carte en bas. Elle trace le point et pousse un grand cri : tous les records sont battus !
Je me trouve en haut dans le cockpit avec Damien qui commence à cavaler à quatre pattes. Je descends en vitesse voir où nous sommes sur la carte.
Mais quand je remonte, horreur ! Mon mousse a disparu !
Vite, je regarde vers l’avant: personne ! Il n'est pas non plus à l'arrière. Alors, je pense au pire : il est tombé à l’eau ! Une véritable catastrophe par cette mer.
Je vais sur l’arrière avec l’intention de débrancher le pilote pour faire demi-tour et, miracle ! Damien est là, cramponné au bord du bateau, à regarder le look de traîne tourner ! En fait, il m’a imité : il me voit tous les matins aller vers le look avant de faire le point, il a eu la curiosité de voir ce que je regardais.
Ouf ! Il est là !
Tout l’équipage respire et nos cœurs se remettent à battre normalement.
La leçon a été comprise et, dorénavant, nous ferons attention pour ne pas trop tenter la chance.

Nous approchons des Marquises et le vent devient moins fort. Les nuits sont pleines d’étoiles avec la croix du sud comme repère.
Nous n’avons rencontré aucun cargo sur cette route.
Maintenant, nous commençons à voir des oiseaux et, en particulier, le paille-en-queue, et des bandes de frégates très haut dans le ciel à la recherche des bancs de poissons.

* * *

Enfin, un beau jour, le capitaine dit :
« Nous allons bientôt apercevoir telle île à telle heure et le premier qui la voit aura gagné la récompense suprême : une tablette de chocolat ! »
Sur ce, le capitaine va se coucher pour laisser la possibilité à son équipage de gagner, et aussi (mais ça, il ne le dit pas) parce qu’il est mort de trouille de s’être trompé...

 
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