Kurma, mon tour du monde en voilier
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San-Blas - Panama - Las Perlas - Galapagos

NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant

Panama - Galapagos
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A la recherche des San-Blas : Le point impossible

Beaucoup de vent pour cette traversée, mais beau temps, ciel bleu, forte houle… Kurma fonce vers les San-Blas. J’ai bien recopié une carte de ces îles sur un bateau américain ami il y a quelques temps… mais je n’ai pas dessiné les quelques 300 îlots des San-Blas ! Juste quelques-uns et les passes dans la barrière corallienne où il doit être possible de rentrer dans le lagon sans aller tout au bout, jusqu’à l’entrée principale.

Je fais mon point d’étoiles. Demain, nous serons en vue des atolls, mais pour les distinguer, il faut s’en approcher très près, les seuls amers étant les cocotiers.
La barrière est très dangereuse : un cimetière dont la légende dit que cargos et voiliers sont pillés dès leur arrivée sur les cailloux. Si, par malheur, cela nous arrivait, nous pourrions juste récupérer nos papiers pour pouvoir quitter le pays car les indiens considèrent qu'il s'agit de leurs biens!
Ce matin, je fais un point de soleil. Dans une heure, je saurai où je suis. Comme je ne vois pas les îles, je préfère me tenir à distance.
Je refais mon point, mais toujours rien, je me retrouve avec une autre parallèle au lieu d’un croisement de droite, je recommence plusieurs fois en laissant passer le temps… Mais toujours rien à l’horizon. Je n’y comprends rien, impossible de savoir où je me trouve en latitude. Kurma avance pourtant car mes droites se déplacent en longitude.
Avec la chance que j’ai, je dois me trouver aujourd’hui avec la même latitude du soleil que celle où je me trouve sur la mer, donc impossible de faire le point !!!
Je décide donc de me diriger vers la terre, et malheureusement, vers les 5 heures du soir, juste avant le coucher du soleil , j’entrevois les cocotiers a contre jour il est trop tard pour chercher une entrée. Je repars pour la nuit me faire secouer au près vers le large car le vent n’est pas calmé. Je réduis la voilure afin de passer une nuit sans trop de secousses.
Dans la nuit, je refais un point d’étoiles. Merci, les étoiles ! Enfin, je sais où je suis !

San-Blas et les Indiens Kuna

Au matin, route vers cet îlot vers lequel je pense qu’il y a un passage pour entrer. Les îlots avec leurs cocotiers se dressent enfin devant nous, et de l’autre côté, dans le lagon, un voilier qui roupille, tranquille.
Nous approchons toujours, et au milieu des rouleaux qui se brisent de tous les côtés avec un bruit assourdissant, je trouve un passage qui me semble fiable.
Patates de Corail L’eau est très claire, je vois les patates de corail défiler à toute vitesse sous la coque, pas question de faire demi-tour. Les vagues nous portent dans le lagon. Enfin, le bruit s’arrête. Nous voici sur un lac transparent, nous approchons de l’îlot et mouillons l’ancre.

Quelques minutes après, le couple du voilier vient nous dire bonjour, et nous raconte leur angoisse de nous avoir vus arriver au milieu des déferlantes, n’imaginant pas que nous puissions entrer par là. Vu de l’intérieur, ce devait être en effet très impressionnant, mais nous n’avons vraiment pas eu le temps d’y penser !

Ensuite, comment raconter ce lieu paradisiaque, où les gens sympathiques nous accueillent très gentiment ? Les indiens Kuna vivent dans des cases traditionnelles, avec leurs coutumes et croyances que nous respectons : ainsi, l’une d’entre elles leur interdit de rester à terre après le coucher du soleil. En effet, ils déplorent la naissance de nombreux enfants albinos, et sont persuadés que les blancs qui ont couché avec leurs femmes à la tombée de la nuit en sont responsables. Bien entendu, la véritable cause en est la consanguinité des mariages entre familles. Mais nous les comprenons.

Nous sommes invités à aller à la pêche à la langouste sur leur pirogue simplement faîte d’un tronc (pour y monter ou en redescendre, il vaut mieux être équilibriste afin d’éviter de mettre tout le monde à l’eau). Il s’agit d’attraper les langoustes à 10 mètres de profondeur sans masque, ni palme ni tuba !
Avec un lasso. Oui, vous avez bien lu : un lasso comme les cow-boys. Ceci pour les garder vivantes car il n’y a pas d’électricité, donc pas de frigo, à terre.
De retour à terre, nous faisons des échanges, car l’argent ne représente rien pour eux. Ils préfèrent des outils. Je sors un masque de plongée, et aussi un rouleau de fil d’inox qui me sert à assurer les manilles, et leur bonheur est total : ils vont pouvoir faire des lassos à langoustes qui ne rouilleront pas.
Eux nous offrent de magnifiques molas, ces somptueux tissus polychromes créés par les Indiennes, qui décoreront le bateau pendant longtemps.

Mais le temps passe trop vite en balades et plongées. Les soutes sont presque vides et l’eau douce commence à manquer (depuis que nous sommes ici, il n’a pas plu). Il nous faut donc partir. Canal de Panama

Nous quittons avec regret les San-Blas et tout ce qui nous y retenait. Le vent nous porte doucement vers Panama mais nous ne sommes pas pressés de rejoindre la civilisation.

Puis, le vent tombe, et nous nous arrêtons sous une pluie battante et tropicale à Porvenir. En effet, devoir avancer sous la pluie sans vent au moteur et barrer sans arrêt, je ne trouve pas ça très marrant. De plus, la visibilité est nulle.
Mais je repère quand même la baie de Porvenir qui est d’accès facile, et nous allons y attendre
le retour du soleil.
Le lendemain, le ciel est bleu, la mer aussi et un petit vent nous permet d’atteindre Colon et l’entrée du canal…

 

Le Canal de Panama

Colon… Vous ne risquez pas de le manquer avec tous ses bateaux, cargos et voiliers qui attendent le passage du canal. Nous allons mouiller à l’endroit réservé aux voiliers.
Le lendemain, nous descendons à terre pour les formalités à l’américaine : des bureaux, des papiers, des tampons, etc… Nous avons même un rendez-vous avec un fonctionnaire qui vient prendre les dimensions du bateau afin de déterminer le montant du droit de passage et de l’assurance obligatoire (au cas où le bateau coulerait au beau milieu du canal !)

24 heures après, les formalités terminées, nous devons attendre, à 6 heures du matin, le feu vert d’un pilote. Celui-ci, muni d’un talkie-walkie, vient à bord pour nous accompagner pendant la traversée du canal. Comme il faut aussi 4 adultes pour les amarres, un couple anglais (des voisins de voilier) vient avec nous. Cargo sur le canal  de Panama Le jour est arrivé. Nous avons entre temps fait un petit tour de Colon, mais rien de bien intéressant à part les shipchandlers qui vendent des amarres et doivent faire fortune !
Dès l’entrée de la première écluse de Gatun, le courant est très fort. Les petits bateaux sont devant les gros, et on fait des prières pour que celui qui nous suit n’oublie pas de s’arrêter, d’autant plus que la porte devant nous est fermée. Pas de problèmes, on nous lance des bollards et on attache les amarres que l’on va reprendre tout au long de la montée des eaux, ensuite, la porte s’ouvre et on recommence quatre fois. Enfin, nous atteignons le lac de Gatun, immense étendue d’eau douce. Premier arrêt pour laisser passer les cargos et casser la croûte. Se baigner aussi. Le pilote, un peu voyeur, répète que l’on n’est pas pressés, et insiste pour que les dames se mettent en maillot. Ecluse Canal de Panama Nouveau départ jusqu’à la descente des écluses de Miraflores, cinq en tout. Maintenant, c’est nous qui sommes derrière le cargo, et c’est plus rassurant car nous nous mettons à couple d’un remorqueur, ce qui nous évite les manœuvres d’amarres.

Lors du passage d’une écluse, le cargo se met en route un peu trop vite, son hélice à moitié hors de l’eau (il doit être à vide), et nous envoie une vague qui déferle sur Kurma, le soulevant et provoquant nos chutes… Enfin, plus de peur que de mal. Le pilote, dans son talkie, envoie un lot d’insultes à l’adresse du pilote du cargo.
Enfin, nous atteignons Bilbao et ses mouillages. Une navette de passage récupère notre pilote, ainsi que nos amis qui prendront le petit train afin de rejoindre leur voilier à Colon.

Carénage à Las Perlas

Départ de la baie de Balboa.
Nous passons sous le seul pont au monde qui relie les deux Amérique, et découvrons devant nous le Pacifique.
Petit pincement au cœur car nous entrons réellement dans le Tour du Monde.
Comme il est un peu tard (ma femme est retournée a Colon donner un coup de main à nos amis anglais pour passer le canal.), nous faisons halte à l’île de Taboga (spécial touriste panaméen riche) et mouillons l’ancre pour la nuit. Tout est calme.
Au matin, départ en direction de Contadora, la première île des Parlas, sur une mer d’huile, vent très faible.
Ayant dépassé Contadora, nous cherchons un mouillage, et surtout un endroit pour caréner, car ici, il y a encore de la marée, ce qui ne sera plus le cas dans le reste du Pacifique.
Nous choisissons une plage tranquille, avec une bonne pente, Avec un bateau rencontré après Panama, nous choisissons l’échouage. Pour lui, pas de problème, c’est un dériveur, donc quelques soixante centimètres d’eau lui suffisent.
Pour Kurma, c’est un peu plus compliqué. En effet, la plage est très pentue et avec mon 1,60 mètre de tirant d’eau, je le couche sur la plage. Mais tout se passe bien car il y a quand même un peu de marée, 2 mètres après, dans le Pacifique ce sera terminé car les marées ne dépassent pas 50 centimètres.
Nos amis terminent rapidement leur carénage. Ils ont décidé de remonter vers le Costa-Rica jusqu’aux USA.
La marée remonte et le vent se lève juste dans la direction contraire à celle qui nous aurait permis de reprendre la mer. Kurma se redresse et commence à talonner avec la houle, à chaque mouvement, il avance sur la plage au lieu de reculer.
Zut ! Nous allons rester ici jusqu’à la fin de nos jours si nous ne portons pas vite une ancre vers le large avec le dinghy, afin de nous haler dessus pour retrouver de l’eau plus profonde. Nos amis, qui étaient au mouillage, décident alors de prendre notre amarre et nos 2 moteurs, et arrivent à nous sortir de cette impasse en quelques minutes.
Ouf, on range tout, et on se souhaite bon vent !

Traversée Perlas-Galapagos

Direction les Galápagos…
Plusieurs jours de mer nous attendent et nous espérons du vent.
Ce trajet sera monotone sur la moitié du parcours, nous sommes obligés d’avancer au moteur sur une mer d'huile.
Nous rencontrons plein d'épaves flottantes de toutes sortes. En effet, à cet endroit, les courants tournent en rond, et tous les troncs d'arbres amenés de la côte sud-américaine par les grosses pluies viennent finir leur vie ici.
Et la nuit, pendant mes quarts, je pense à la légende qui raconte la rencontre des navigateurs avec tous ces vaisseaux fantômes au siècle dernier.
Nous n'en verrons pas ! Mais nous croiserons pleins d'animaux marins sympathiques du genre tortues et dauphins, et des milliers de petits poissons de toutes les couleurs qui viennent chercher leurs pitances dans ses épaves.
Traversée Panama-Galapagos, 12 jours de traversée sans vent (du 18 au 30 mai 1983), le moteur qui fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose (9 kms/heure), une vraie course de lenteur.
Encore heureux que les tortues des Galapagos n’aient pas doublé la tortue Kurma !
Enfin, on a le temps d’admirer le paysage… La mer… un vrai lac de 1600 kms !

Galapagos

Galapagos

Enfin, un beau matin, Terre !!!
Nous entrons dans la baie de Puerto Baqueriro Moreno à San Cristobal, capitale de cet archipel. Nous mouillons au milieu des pêcheurs, il n’y a pas de quai et une houle nous fait rouler bord sur bord constamment.
Premières formalités : les Galapagos sont interdites aux touristes non accompagnés, c’est-à-dire nous. Mais à la capitainerie, un méchant visa nous est accordé pour 3 jours, le temps de refaire l’avitaillement et de repartir : une loi internationale de la mer..

Effectivement, le capitaine du port n’est pas content que nous n’ayons pas de visa ni d’autorisation, nous comprenons !
Donc, il faut faire le plein rapidement. Cela ira vite car il n’y a ici que les denrées principales, et le gas-oil bien sûr.
Quoique, pour rallier les Marquises, le gas-oil ne nous servira guère, 3000 miles au moteur, c’est impossible !
Et puis Kurma est un voilier.

Donc, le folklore commence par le gas-oil. La station nous apporte un bidon plein de 200 litres posé sur le rebord du quai. Il faut en faire, des aller-retour avec l’annexe jusqu’au bateau (grosse partie de plaisir avec la houle !).
Bon, il y aurait bien une autre solution : jeter le bidon à l’eau et le traîner jusqu’au bateau, car le gas-oil, ça flotte. Il ne nous resterait plus qu’à pomper… mais je ne m’y suis pas risqué !

Un petit pépin

Course à l’épicerie ensuite, et dernier arrêt à la boulangerie.
Là, surprise ! La boulangère nous fait du pain « spécial traversée » !!! Elle fabrique un genre de brioche carrée et longue, qui reste fraîche pendant 3 semaines (garanti ! mais il est vrai qu’au bout de 3 semaines de mer, on ne va pas venir réclamer).
La boulangère, très aimable, nous promet que nous pourrons venir chercher nos 15 pains cuits plusieurs fois pour la conservation juste avant notre départ. Tout en parlant, elle touche la tête de mon fils qui a un an, et découvre qu’il a des ganglions dans le cou.
Zut ! Nous ne pouvons pas partir ainsi, il faut aller voir le médecin juste à côté afin qu’il nous donne des médicaments !
Le dispensaire ne se trouve pas très loin, nous rencontrons un jeune toubib équatorien. Il examine le petit, rédige une ordonnance, et nous demande de repasser dans une semaine…
Impossible, nous n’avons pas le droit de rester, et nous avons du mal à lui expliquer que nous n’avons pas le droit de rester si longtemps. « non, non, il ne faut pas partir, je vous fais une lettre pour le captain du port ! »
Nous voilà repartis pour la capitainerie, morts de trouille car le captain nous avait fusillés de ses yeux noirs à notre arrivée. Il nous reçoit cependant, nous lui tendons la lettre, il la lit, et soudain un grand sourire éclaire son visage et… « Bien sûr que non, vous ne partirez pas tant que le ninõ ne sera pas guéri, je vous l’interdis !!! »

La nature retrouvée

C’est ainsi que nous avons le droit et le temps de nous balader un peu sans aller trop loin. Super ! Nous allons visiter jusque dans des criques en prenant bien soin d’éviter les bateaux de touristes qui transportent des gardes du Parc National, car nous risquons une amende…
Grâce au bouquin de Bernard Moitessier, dans lequel il décrit un mouillage avec croquis très ressemblant, nous découvrons un endroit planqué dans les rochers, et là, le calme, l’eau vert jade, et enfin les phoques, iguanes, oiseaux, pélicans, tortues… une faune très diversifiée.
Nous descendons à terre doucement, sans courir, pour tirer la queue aux iguanes qui se laissent faire. Nous plongeons et nageons avec les otaries. C'est très impressionnant de les voir foncer sur nous et faire un rapide virage sur les chapeaux de roues au dernier moment pour nous inviter à venir jouer…
Alors, nous commençons une partie de volley, d’un côté l’équipe "phoque", de l’autre l’équipe "Kurma".
Et comme arbitre un pélican très sérieux qui a trouvé que les oranges, c’est meilleur de les manger que de jouer avec.

Pélican  Otaries

Toute une semaine se passe ainsi à merveille.
Et lorsque, à regret, nous retournons voir le médecin, celui-ci nous donne son accord pour le départ.
Retour chez la boulangère pour récupérer nos 15 pains, chez le capitaine qui prend mon fils dans ses bras pour vérifier si tout est OK… Vive les enfants !

Voilà, Kurma hisse les voiles, direction les Marquises, la porte à côté, 6000 kms de grand bleu…
Sans escale. Quelle idée il a eu le Bon Dieu le jour où il a fait le Pacifique !

 
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