Enfin, le grand jour arrive.
Tout est sur le camion. Toutes nos affaires, nos livres, les objets
auxquels nous tenons, car nous avons définitivement quitté notre
appartement et nos emplois.
C’est un convoi exceptionnel qui
va tenter de rejoindre Valence. Nous voilà partis comme des
fous sur la nationale, j’ouvre le chemin avec ma voiture, et
fait de grands signes aux voitures qui arrivent en sens inverse. La
famille et les amis suivent.
Le chauffeur du camion a comme devise « plus vite on roule, plus
vite on arrive, et moins les gens s’impatientent derrière
nous ». La vitesse étant limitée à 90 Kms/h,
nous roulons à
cette allure pratiquement tout au long du trajet.
Il a certainement raison, et tout s’est bien terminé, à
part un morceau de mur qui a un peu souffert dans un virage trop étroit
dans un village… mais Kurma a résisté et la maison
aussi.
* * * * *
Le 22 mai, arrivée à Valence
au bord du Rhône pour la fatidique mise à l’eau.
La grue a pris la bête et l’a délicatement posée
sur l’eau, sans la lâcher, pour voir si elle ne coulait
pas…
et le grutier, sans doute habitué des mises à l’eau
catastrophiques, m’a demandé de monter à bord afin
de vérifier si j’avais pas oublié de fermer une
vanne.
Mais rien de tout cela, tout va bien, Kurma flotte, et la ligne de
flottaison est normale…
On a cassé la bouteille de champagne
sur l’étrave, elle en verra d’autres (l’étrave,
pas la bouteille).
Et c’est l’heure des adieux. On quitte tous les amis et
la famille qui nous ont accompagnés, et sous leurs yeux attentifs
(et larmoyants), nous nous échappons vers la liberté…
Direction le sud, avec une escale à Avignon pour la première
nuit.
Kurma n’a eu droit à aucun
essai avant le départ !
Et les premiers problèmes apparaissent.
Dans une courbe du fleuve, la barre reste coincée. Impossible
de prendre le virage !
Je laisse la conduite à mon copain et équipier Jacques,
qui s’est porté volontaire pour la descente du Rhône,
car il habite Marignane.
Je plonge dans les entrailles de la bête ! Et je découvre
une partie de notre déménagement entassée sur
le secteur de barre, le seul endroit où il ne faut bien sûr
rien mettre !
Donc, je déblaie… et tout fonctionne ! (c'est en forgeant
qu'on devient forgeron, non ?)
Ensuite vient l’écluse de Bollène. Très impressionnante, cette écluse : un escalier de 26 mètres ! Une fois en bas, sous la menace de ces 26 mètres de hauteur d’eau qui nous surplombent, nous nous dépêchons d’en sortir très vite car la porte qui retient l’eau fuit de partout…
Puis une autre frousse.
Cette fois, le moteur tourne, mais plus d’hélice ! Nous
dérivons avec le courant. Heureusement, à cet endroit,
Jacques barre tout droit et les bouées sont faciles à négocier.
Je replonge dans les fonds, ouvre le capot moteur. Tout va bien, il
tourne, mais l’arbre d’hélice ne veut rien savoir
!
Mais oui ! Evidemment ! Je m'aperçois que le cardan était
mal serré, et les 4 boulons sont là, posés à attendre
que je les remette en place.
Je demande à mon équipier de débrayer, sors la
boîte
à outils… et voilà qui est fait, ça repart
!
« Ne vous inquiétez
pas, il n'y aura plus de problème ! »
Ceci dit, Jacques n'est quand même pas très rassuré !!!
Gentiment, nous suivons les bouées qui nous guident jusqu'à port Saint-Louis ! Et là, il ne nous reste plus qu’une petite écluse à passer avant d’entrer enfin en Méditerranée.
Mais la liberté n’est pas
encore tout à fait là.
Nous nous dirigeons vers Martigues où, dans l’étang
de Berre, nous allons terminer Kurma et monter le mat.
Nous nous installons dans le canal vers
l’étang de Berre, à côté des "Trois
Frères", lieu mythique des constructeurs amateurs.
Plusieurs voiliers sont là, en instance de départ, et
nous faisons connaissance.
Tous travaillent sur leur bateau, et les coups de mains sont toujours
de la partie, les conseils aussi. Les plus anciens ont même planté
une boîte à lettres dans le terrain vague et le facteur
nous porte le courrier en trouvant cela très drôle.
Il ne me reste que le mât à mettre, et je pense à une
grue, car tenir debout 14 mètres d’alu avec tous les câbles
en acier, cela représente pas mal de dizaines de kilos.
Et bien, il n’y aura pas de grue !
L’équipe de constructeurs connaît un autre moyen
qui ne coûte rien, seulement du monde et un point d’appui,
et au final…
un bon gueuleton !
Nous nous rendons au fond du chenal, et là, grâce à un
pont routier à 20 mètres au dessus, toute l’équipe
et en chœur nous dressons le mât que je fixe provisoirement
avec les câbles avant de pouvoir tout régler tranquillement.
Retour dans le chenal et petite fête …
J’ai bien mis une pièce de monnaie au pied du mât,
comme le veut la tradition !
Et la croyance a fonctionné : Le mât de Kurma est encore
debout
à l’heure où j'écris ces lignes… soit
plus de 25 ans après malgré tous les cyclones et tornades
!
Nous passons encore quelques temps avec cette bande de joyeux lurons,
futurs gitans de la mer, et nos soirées se prolongent en discussions
sur nos futures traversées.
Merci à Michel le marseillais et sa famille, à Patrick et sa copine, Dominique, la petite corse bien têtue mais sympa, à tous ceux qui m'ont aidé et dont j'ai oublié les noms et que, malheureusement, je n’ai pas eu la chance de rencontrer sur ma route après mon départ.
* * *
Voici venu le temps de l’immatriculation par un fonctionnaire de la Marine et, après maintes vérifications, nous voilà munis de notre beau livret rouge. Kurma existe enfin pour de bon. Nous décidons de prendre enfin la mer et quittons le golfe de Fos et ses immenses cargos.
La Méditerranée
est à
nous.
Premier arrêt juste à côté de Port-de-Bouc
où, ce soir, nous voyons arriver les sardiniers pleins à ras
bord. Nous irons faire un tour dans le village et aussi à la
criée.
Ce matin, avant de partir, je me rends compte qu’on m’a
volé
mon vélo pliable pendant la nuit. Ce qui m’enlève
l’envie de m’attarder. Bye Bye !
Je vais donc longer les côtes
françaises en restant un minimum de temps dans les marinas,
payantes et chères.
Par bonheur, à Canet, juste à côté de Perpignan,
nous trouvons une marina convenable, un captain de port sympa, et aussi
des gens moins stressés car la saison est finie.
Nous allons donc passer l’hiver ici.
Nous avons encore des tas de choses à régler, techniques
pour le bateau, et familiales pour l’équipage, avant le
grand départ.