NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant
Une fois de plus, nous voilà repartis pour plusieurs jours
de mer,
La maman se porte bien et notre nouvel équipier de trois semaines
aussi.
Nous allons directement jusqu’en Guyane, sans nous arrêter.
Le temps est au beau et la mer parfaite, ce qui est bien pour s’amariner
après tout ce temps à terre. Nous reprenons le rythme,
les quarts de nuit…
Bébé apprécie les bains de mer et même
les douches
à l’eau salée.
Les langes flottent au vent à l’arrière de Kurma
car nous n’avons pas trouvé de couches jetables à Recife.
Alors, on fait comme nos grand-mères, un bout de tissu suffit étant
donné la chaleur, et notre moussaillon ne se plaint pas.
Un après-midi où je récupère mes quarts, je suis réveillé par une musique de fête, un orchestre et des gens qui parlent… Je me hisse sur le pont et, à moitié endormi, regarde autour de moi : rien à l'horizon ! L’équipage n’a rien vu, peut-être est-ce un rêve ? Je retourne me coucher. Plusieurs heures plus tard, un cargo de croisière nous double et je comprends que la musique provenait de son bord… L’eau a dû transporter la musique jusqu'à mes oreilles !
Nous passons au large de L’Amazone. La mer a pris une couleur
boueuse et cela dure sur 200 kilomètres…
mais nous rencontrons aussi de nombreux arbustes qui dérivent
avec le courant.
J'avais très envie de faire un périple en Amazone,
et m'étais procuré des cartes pour tenter une remonter
jusqu'à Manaus. Mais notre moussaillon est arrivé,
et j'ai abandonné cette idée : trois semaines, c'est
trop petit pour vivre une telle aventure !
Nous continuons donc avec un peu de regret vers le nord et la Guyane.
Les côtes de Guyane apparaissent enfin.
Le balisage nouvellement installé nous permet d'entrer dans
la rivière en direction de Dégrad des Cannes. Tout
au bout, nous découvrons un quai désert au milieu de
la brousse. Le courant est très fort et je jette l’ancre
pour la nuit et prendre un peu de repos.
Hélas, le lendemain, quand je décide de remonter l’ancre,
la chaîne est envahie de plantes aquatiques et il me faut déblayer
au coupe-coupe !
Ici se construit une future centrale électrique, mais pour
l’instant, les travaux en sont encore à leurs balbutiements.
Retour vers la mer et direction un peu plus loin à gauche,
Cayenne, que nous allons essayer de rejoindre. Malheureusement, nous
ne connaissons pas l’heure des marées, et à l’heure
du casse-croûte, voilà Kurma complètement arrêté,
planté dans la vase avec toutes ses voiles dehors : on dirait
une statue au milieu de l’entrée !
Autant prendre le temps de déjeuner, la marée monte,
donc, ça va repartir !
Effectivement, deux heures après, Kurma repart tranquille
en direction de Cayenne que nous atteignons rapidement.
Je trouve une place au milieu des voiliers
à l’ancre. Nous retrouvons l'équipage d'Aguirre
qui vient en dinghy vérifier si notre bébé se
porte bien.
Alain a trouvé du boulot à terre et me propose de travailler
avec eux.
Ok… mais laisse-moi arriver, car nous venons de passer 10 jours
de mer !
Me voici donc embauché en Guyane, un petit bout de France
sous les tropiques.
Plus exactement à Degrad des Cannes, pour la construction
de la centrale
électrique.
Un bout de France, oui, pour les autorités et la paperasse… mais
ça s’arrête là !
Tout se fait à la "vitesse tropicale", car il fait
très chaud et il pleut souvent.
Nous nous habituons doucement à la vie guyanaise :
• aux boutiques qui vendent de tout et sont tenues pas des chinois,
• au marché où les Mongs venus de Thaïlande vendent
des légumes
• aux chercheurs d’or qui racontent leurs rêves et leurs
désillusions,
• aux indiens qui sont les seuls à se déplacer en forêt
sans se perdre,
• aux moustiques gros comme des hélicoptères,
• aux deux saisons : la petite saison des pluies pendant laquelle il
ne pleut que la nuit, et la grande saison des pluies où il
pleut tout le temps,
• à la profusion d’animaux sauvages de toutes sortes, que l’on
peut chasser toute l’année, ce qui donne l’autorisation à
la population de se promener avec un fusil car tout se mange ici...
Si, comme moi, vous êtes curieux, et que vous avez le cœur ou l’estomac bien accrochés, vous pourrez faire comme moi, manger le caïman, délicieux, l’agouti (lapin guyanais), le boa (pas mal non plus (si on évite de penser à ce que c'est), enfin, tout ce que vous pouvez imaginer, si vous n'êtes égétarien.
Kurma est ancré dans la rivière. Cette année, il est encore possible de débarquer avec l’annexe au quai, ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, la rivière charrie de la terre et de la boue vers la mer, qui s’accumulent sur plusieurs mètres d’épaisseur. Et généralement, après un certain temps, il n’est plus possible d’atteindre Cayenne et les quais, jusqu'à ce que l’épaisseur de boue soit telle que l’énorme bouchon parte d’un seul coup en mer !
Les week-ends, nous visitons les îles du Salut, les restes du bagne, complètement déserts à cette époque.
Salles du bagne de Cayenne
La "piscine" des bagnards - L'île du Diable a servi de
prison à Dreyfus
Nous rencontrons quand même sur l’île Saint Joseph un groupe de légionnaires qui campent deux semaines pour un repos bien mérité après une dure épreuve en brousse de nettoyage de sentiers.
Sur l’Ile Royale, les restes des cellules du bagne nous font frémir : les toits sont constitués de barreaux, et on se doute du régime qu’avaient à subir les bagnards avec la pluie, l’humidité, et les bestioles de toutes sortes qui pouvaient y entrer.
Nous admirons également une pêche miraculeuse : un
mérou de 450 kg très impressionnant !
Puis nos amis de Cayenne nous rejoignent pour la journée et
nous ferons le tour de l’île du Diable avec leur canot à moteur,
et finirons par prendre à la traîne un magnifique tarpon
de près de 2 mètres de long.
Il y a aussi des iguanes qui, sous l’eau, sont très
rapides.
L'eau est claire, et à la bonne température, nous
décidons d’apprendre
à nager à notre mousse d'un mois. Après s’être
mis à l’eau tous les deux, maman d’un côté et
moi à environ 5 mètres, nous jetons le bébé qui,
tout content, les yeux grands ouverts sous l’eau, et comme
un petit chien, se met à pédaler vers ma direction
et me rejoint avec le sourire. Après quelques voyages aller-retour
de cette façon, nous remontons
à bord et notre petit marin va faire un bon somme.
Nous fêterons Noël à terre cette année.
Un couple dont j’ai fait la connaissance par radio depuis le
Brésil nous a invités dans sa maison pour la venue
du Père Noël, ce qui évitera à notre fille
de poser la question "comment il fait, papa Noël, quand
il n'y a pas de cheminée ou bien quand on est sur l’eau
?"
Le Père Noël n’a pas eu de problèmes pour
venir et les enfants sont contents.
Nos amis nous accompagnent aussi à une journée pique-nique
avec plongée et baignade aux Iles du Salut.
Au retour, nous passons par la Poste récupérer un
colis en provenance de Savoie. La postière fait une drôle
de grimace au moment de nous le remettre et on comprend pourquoi
: une drôle d’odeur s'est répandue dans tout le
bureau, mais ne vous en faites pas : la tomme était à point
et nous n'avons rien laissé
perdre !
Le temps passe trop vite et notre confirmation pour les billets vers
la France est arrivée.
Nous préparons donc Kurma pour le laisser à la garde
de nos copains pendant deux mois, car l’équipage va
enfin pouvoir constater de visu que l’on peut vivre "quand
la terre est en pente"
(question qui tracasse particulièrement Cloé qui a
5 ans).
2 mois plus tard.
Apres avoir bien mangé et pris du poids avec toutes les bonnes
choses que nous ne mangerons plus pendant longtemps, nous voilà de
nouveau
à Cayenne.
7 mois déjà que nous sommes arrivés ici.
Il nous faut préparer le bateau pour la suite du voyage, c'est-à-dire
le Vénézuela et Panama.
Nous avons la chance d’être dans une période de
grandes marées, ce qui nous permet de faire un carénage
vers le pont dans la rivière. Effectivement, il est sale sous
la flottaison, des centaines de coquillages sont collés à la
coque. Nous grattons tout ça rapidement pour pouvoir vite
refaire une couche de peinture antifouling avant que la marée
remonte, opération faîte en deux temps car il faut coucher
le bateau sur l’autre côté
.
Nous voilà maintenant fin prêts pour le départ.
Nous fêtons avec regret nos adieux avec tous nos amis car nous
ne les reverrons plus, ils ont choisi soit de rester ici, soit de
se diriger directement vers les Antilles.
Le 9 février 1983, Kurma lève l'ancre.