Kurma, mon tour du monde en voilier
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La vie quotidienne à bord de Kurma (1979-1990)

La vie quotidienne sur mon voilier Kurma dans les années 80 :
Les "quarts"
- Le "point" - La nourriture

Une question m'est souvent posée : "Mais que faisiez vous à bord pendant ces longues traversées ?"
La vie quotidienne à bord est simple. On doit surtout être bien organisés.

Les "quarts"

Vous devez vous en douter, les quarts consistent à veiller, chacun à notre tour, à ce qu'aucun obstacle (bateau, ou tout ce qui peut flotter) ne vienne perturber l’avance. Il est vrai que beaucoup de choses se baladent sur l’océan, plus ou moins dangereuses : le moins dangereux, ce sont les bois flottants que l’étrave frôle en perdant un peu de sa peinture. En pleine nuit, cela fait un grand bruit tout le long de la coque, juste le temps d'avoir une belle frayeur. Et puis, il y a les épaves beaucoup plus dangereuses qui risque de vous faire perdre le bateau… et de vous retrouver à bord d'un canot gonflable !

Les épaves
Au cours de mon voyage, une telle rencontre s'est produite, heureusement en plein jour. Cela s'est passé au cours de la traversée Antilles-Açores au milieu de la mer que l'on nomme "mer des Sargasses". Des tas d’algues s'étalaient à la surface de l'eau sur des milles… et tout à coup, Kurma se retrouve nez à nez avec une immense bouée flottante rouge en acier dépassant de plusieurs mètres le niveau de l'eau ! Comme la mer n'était pas trop forte, je me suis approché pour la regarder. Elle mesurait sûrement 2 mètres de diamètre, et la partie immergée était au moins de 8 mètres, sans compter l’énorme chaîne qui se perdait dans le bleu ! Je vous laisse imaginer les dégâts qui pourraient être occasionnés sur n’importe quel bateau par un temps moins clément.

Ceci pour dire que les quarts sont utiles… sauf la nuit dans ce genre de situation. Par contre, la nuit, il faut veiller aux autres bateaux, surtout les cargos. Ils se signalent par leurs feux. Et si vous voyez les feux allumés rouge, vert et blanc en même temps, dites-vous bien que ce lascar vient droit vers vous et il vaut mieux l'éviter !
Il y a heureusement des rencontres plus sympathiques, comme les animaux marins : des dauphins, et même plus gros, des orques ou baleines que l'on ne voit pas mais que l'on entend.
Enfin, les quarts de nuit me permettaient de faire des points d’étoiles (ce qui m'occupait bien), mais aussi de lire ou d’écouter la radio en sourdine pour les nouvelles du monde, les résultats sportifs, ou simplement capter la musique à la mode de l’endroit où nous allons.
La durée des quarts ? Bon, pour les puristes, à deux, nos quarts étaient de 3 heures chacun à partir de 6 heures du soir sous les Tropiques (c’est l’heure à laquelle le soleil se couche) et jusqu'à 6 heures du matin (heure du lever du jour), notamment au cours des traversées avec des risques de rencontre. Pour le Pacifique, des rondes de 4 heures suffisaient, nous n’avons vu aucun bateau des Galapagos jusqu'aux Marquises, il y avait très peu de trafic.
Par contre, Inde, Mer Rouge jusqu'à Suez danger ! Il s'agit de la route des pétroliers qui arrivent ou vont vers le Golfe Persique et se suivent presque à la queue leu leu comme sur un rail, ce qui est même un repère quand on tire des bords la nuit en Mer Rouge étant donné qu’il n’y a pas d’autre repère car tout le long de la cote Est c’est le désert...

Le "point"

Vers 10 heures… C'est le moment de la droite de hauteur et le point sextant qui prend un certain temps en visée et calcul et vous fait découvrir la distance parcourue. Et mettre un point sur votre carte.
De nos jours, avec les progrès apportés par les instruments électroniques, radars, GPS, etc… vous n’avez plus ce plaisir vous savez toujours où vous êtes. Quel dommage ! Vous ne vivrez plus cette aventure un peu angoissante qui fait que pendant plusieurs jours de mauvais temps sans point, vous ne savez plus où vous êtes vous ne devez compter que sur votre estime et aussi votre sens marin que certain appelle pif au mètre. Et un matin, avec votre sextant à la main, vous attendez que le soleil veuille bien vous faire coucou entre deux nuages et hop voilà ! Vous pouvez enfin vous situer sur la carte !

La nourriture

Au matin, le petit déjeuner est très important. Pour ma part, j’ai adoré le petit déjeuner à l’anglaise : omelette au bacon ou pancake avec café, thé ou chocolat pour les plus jeunes. Ceci évite d’avoir la grosse faim à midi quand il fait très chaud.
Ensuite, l'un de nous se dévouait pour faire le pain, ce qui est tout un art pour que ça ressemble à une boule de pain de campagne une fois cuite… à se mettre à genoux devant. Car l’odeur vous donne l’impression de passer devant la boulangerie le matin, j’en salive !
Le seul inconvénient est la chaleur produite dans le bateau, mais au vent portant, on peut toujours ouvrir les hublots.

Après avoir fait le point arrive l’heure de préparer le repas de midi. Alors le dilemme est simple : vous ouvrez vos coffres et regardez ce qui commence à se périmer ou vouloir prendre la direction de la poubelle. Alors, pas d’hésitation ! Vous faites cuire tout ça et, quelquefois, on arrive à des résultats surprenants.
Si, comme moi, vous n’avez pas de frigo (ce qui lui évite d’être en panne !), vous apprenez à boire tiède et sans glaçons, vous ne risquez pas d’avoir mal au ventre, c'est bien meilleur pour la santé !

Petits trucs pour conserver la nourriture

Pour couronner le tout, vous connaissez toutes les combines pour conserver toutes sortes d’aliments… où vous les apprenez au cours de vos escales, et de rencontres au sein de la grande famille que représentaient les navigateurs de mon époque pas si lointaine.
Ainsi, pour les œufs, nous prenions la précaution de les enduire de vaseline avant le départ, puis de les retourner tous les 8 jours pour éviter au jaune de toucher la coquille.
Pour les fruits, nous les enveloppions dans du papier journal. Les bananes, qui ont une fâcheuse tendance à mûrir tout d’un coup, il suffit de séparer le régime en deux d'en rincer la moitié à l’eau de mer et l’autre à l’eau douce. Et si, après ça, il reste des bananes mûres, que vous ne pouvez plus voir, même en couleurs… coupez-les en deux et faîtes les sécher au soleil !
Les pommes de terre se gardent très bien dans le noir dans leur sac.
Nous mettions le sucre, la farine, le riz, les pâtes, le lait en poudre, le gros sel, etc. dans des containers étanches après les avoir sortis de leur emballage. Pour éviter les cafards qui adorent se cacher dedans, dans chaque récipient, nous insérions du coton imbibé d’éther (mais moi je préfère le rhum à 55° !) ce qui empêche aux charançons ou autres bestioles de se régaler et de se reproduire.

J’oublie de parler de la cuisinière. Pendant quelques années, et depuis le départ, j’avais opté pour une cuisinière avec four à pétrole. C’était alors le summum de la cuisinière, surtout pour le prix. Le seul problème était que le pétrole acheté dans les pays pas très riches était de mauvaise qualité et que les gicleurs se bouchaient. Je ne vous parle pas des fuites qui empestaient le bateau dès que ça chauffait ! Il fallait aussi pour l’allumer de l’alcool à brûler, pas facile à trouver dans certains endroits.
Petit à petit, je suis venu au gaz et ensuite j’ai refait mon installation complètement. Le principal problème du gaz est la sécurité. J’ai résolu le problème simplement en obligeant toutes les personnes qui voulaient s'en servir à fermer la bouteille après utilisation.
J’ai vu un jour deux couples sur un magnifique voilier avoir un soir, en rentrant du restaurant, allumé une cigarette et fait exploser le bateau (et eux avec… ils s'en sont sortis avec beaucoup de chance… mais pas indemnes.)

Et surtout, imaginez qu'une fois arrivés à terre, quand le sol ne bougera plus sous vos pieds (!), vous irez tranquillement vous asseoir à la terrasse d’un bar et vous pourrez déguster une bière ou un jus de fruit bien frais ou si vous êtes au Brésil. Ce jour-là, commandez pour moi un vitaminas, mélange de fruits avec du lait de coco et de la glace pilée, un vrai régal de fraîcheur et un repas complet en même temps.

 
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