Kurma, mon tour du monde en voilier
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Australie (Novembre 1985 - Septembre 1986)

NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant

Australie - Pacifique Ouest
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Brisbane, baie de Moreton (1er novembre 1985)

Australie, nous voilà !
Nuit très courte… Au lever du jour, réveil en fanfare par les autorités qui sautent sur le bateau et nous passent un savon car nous aurions dû faire notre entrée sans nous arrêter au mouillage.
Mais ils voient bien que nous sommes épuisés, et que nous n'avons même pas détaché le dinghy. Ils acceptent nos explications, puis nous les suivons au moteur jusqu'au quai des douanes.
(Ce n’est que bien après que nous comprendrons la froideur de cet accueil et le stress des douaniers : l'affaire du Rainbow Warrior ajouté au fait qu’un voilier français de Nouvelle-Calédonie vient de se faire arrêter pour trafic d’armes font que les français ne sont pas particulièrement bienvenus).
Notre arrivée en Australie ne passe donc pas inaperçue. Heureusement que nous avions pensé à nos visas aux Fidji.

Les formalités accomplies, les douaniers passent  à la fouille du bateau, munis  de grands sacs-poubelle pour faire un tri dans notre ravitaillement : le frais, bien sûr, les œufs que nous nous empressons de faire cuire immédiatement afin qu'ils puissent emmener les coquilles, les conserves sont vérifiés… et si la viande ou le lait ne sont pas des produits australiens : poubelle !!!!
Heureusement, la plus grosse partie de nos boîtes de conserve provient de Tahiti, et, par chance, ont été fabriquée en… Nouvelle Zélande, ce qu'ils apprécient.
Par bonheur, ils n'ont pas vu nos précieuses gousses de vanille fraîche achetées aux îles Tonga.
Ce tri très sévère est une façon de protéger le pays contre des maladies, toute nourriture qui entre dans le pays est mis en quarantaine. La Nouvelle Zélande applique les mêmes règles d'importation que l'Australie.
Ce qui n'empêchera pas Kurma de se retrouver pour la première fois envahi de petits cafards typiquement australiens !

Maintenant que notre et celle de Kurma sont entrées dans l’inventaire, nous avons l'autorisation de rester six mois et pouvons nous déplacer partout dans le pays. De plus, le capitaine et l'équipage deviennent assurés sociaux gratuitement : un cadeau du gouvernement aux touristes. Pas mal pour nous qui n'avions plus d'assurances depuis longtemps !
Allez, on largue les amarres de la douane, et en route vers Brisbane !
Ouille ! Il fait frisquet ce matin, nous sortons les pull-overs !

Fête de la Mer à Bahia En remontant la rivière au moteur, nous croisons des cargos et passons sous un pont impressionnant, puis voilà la City avec ses gratte-ciel, l'Amérique quoi !
C’est au pied de ces immenses tours que nous trouvons une place au mouillage au milieu de dizaines d'autres voiliers, la plupart habités par des gens qui travaillent à terre et sont donc à pied d’œuvre.
Nous découvrons cette immense cité de buildings, d’immeubles d’acier et de verre, avec tous ces gens qui courent et ce bruit ambiant, tout cela nous donne le tournis.
C’est en centre ville que sont concentrés lieux de travail et commerces, les habitants vivent tous en périphérie, ce qui fait que la ville s'étend sur 50 kms. Le soir c’est la ruée vers les logements, la ville se vide d’un coup et paraît morte.
Au marché, nous sommes surpris par le nombre de personnes de toutes nationalités qui vendent des fruits et légumes : italiens, espagnols, grecs, français. Ils ont amené leur savoir-faire de jardinage. Et cela nous semble bizarre d’entendre parler d’autres langues que l’anglais. Car tous ont gardé la façon de vivre de leur pays d’origine.
Nous rencontrons un couple espagnol, arrivé ici il y a 20 ans.
Leurs enfants, tous nés ici, nous posent des tas de questions sur l'Europe, du genre "avez-vous un lave-linge" ? Et sont très surpris que cela existe aussi chez nous !
Nous sommes invités à visiter leur bateau en construction, ils veulent notre avis sur la vie en voyage autour du monde. Que nous donnerons à petite dose pour ne pas les décevoir.
Il s’agit d’un énorme catamaran… avec un lustre et une baignoire, comme à la maison… Bien entendu, ils emmèneront aussi grand-mère qui a 80 ans. L’homme, qui est le plus décidé à naviguer,  se lance dans des explications assez farfelues sur la navigation, et nous comprenons qu’il a tout appris dans les livres  et n’a jamais encore vu la mer. Nous ne pouvons nous empêcher d'en sourire.
Le catamaran leur servira seulement de résidence secondaire, comme pour beaucoup de propriétaire de bateaux australiens. La mer ici est la base de la vie, et beaucoup de rivières sont navigables. Alors, ils habitent sur des bateaux ou des maisons construites sur deux flotteurs, ce qui est plus stable, les décorent de jardinières de fleurs ou de plantes vertes (il y en a de très belles) et s’ancrent dans des coins très tranquilles sous les arbres. Ils ne montent pas le mât afin de pouvoir aller plus profondément dans la rivière et passer sous de petits ponts.

Un jeune français, qui vit sur un voilier dans la rivière, nous raconte son histoire : passant un jour devant une ambassade australienne en France, il entre et fait sa demande d’immigration en Australie. Comme ça, sans trop y croire. Deux ans après, il reçoit l'autorisation de partir. Il arrive avec son sac à dos, en stop depuis la France. Les autorités le prennent en charge pour six mois : apprentissage de la langue, logement et nourriture pendant sa recherche de travail. Aujourd’hui, il est intégré, a du boulot et est devenu Australien et, comme tous ici,  son logement est un petit voilier qu’il répare selon ses moyens pour un jour peut-être partir.

Il nous indique un endroit pour nous amarrer pour l'hiver, et essayer de travailler.
Ecoutant ses conseils, nous nous dirigeons vers la rivière, car au pied des immeubles, c'est vraiment angoissant et impossible de descendre à terre sans être au beau milieu de la circulation.

Le tirant d'eau est limite, et bientôt, nous voilà plantés dans la vase. Pourtant, à plusieurs centaines de mètres devant nous, il y a plusieurs voiliers bien plus gros que nous : comment sont-ils arrivés là ?
Nous interrogeons les pêcheurs aux appontements à notre droite. L'un deux nous explique qu’il suffit de passer à marée haute : une fois que nous aurons trouvé une place avec assez d'eau, le bateau fera son trou dans la vase et nous serons tranquilles. Inquiet, je lui demande comment ils font pour ressortir : il me répond que cela fait des années qu'ils sont installés !
OUPS !!!

Voilà que la marée descend. Kurma est planté dans la vase, debout comme un grand, l'eau commence à disparaître autour de lui. Mais quand cela va-t-il s'arrêter car nous n'avons rien pour le tenir debout ? et il y a une épaisseur de vase impressionnante. Je fais avec l’annexe, tant que cela m’est possible, une dernière fois le tour du bateau car après il me restera plus qu’à croiser les doigts pour la chance.
Nous retournons à bord et descendons délicatement à l'intérieur : surtout ne pas trop bouger pour que le bateau reste debout. La nuit arrive et je sens que je ne vais pas fermer l'œil…
Mon équipage, lui, est tranquille. Il faut attendre que l'eau remonte.
Cela me rappelle un mot d’enfant de Cloé : Lui expliquant que, pour laver sa poupée, il valait mieux utiliser la pompe d'eau de mer de la cuisine que notre précieuse eau douce, elle m’a regardé d’un air étonné : « mais si je pompe l'eau de mer, il ne va plus y en avoir pour le bateau ! »
La nuit passe dans le silence complet. Enfin, vers les premières lueurs du matin, j‘entends enfin le clapotement de l’eau contre la coque. Ouf ! Durant les heures suivantes, le niveau de l’eau monte encore, mes tripes se dénouent lentement.
Je suis toujours impressionné de voir l’eau baisser si vite sous le bateau et même aujourd’hui, j’ai encore l’impression qu’elle ne va jamais revenir.

Mouillage bateau (photo GoogleMaps)

Au petit matin, nous flottons ! Kurma se rapproche doucement des autres voiliers. Un joli coin sous les arbres, pas trop loin du bord, je jette l’ancre, une autre vers l'arrière, quelques amarres aux arbres. Je fabrique une passerelle qui nous relie à la terre. Nous voilà prêts pour l'hiver ! Nous explorons les environs : une route, des bus, des voisins de bateau qui travaillent et nous font de grands signes pour nous saluer. Comme c’est un dimanche, ils nous invitent à l’apéro, et, dans une ambiance très sympathique, nous posent des tas de questions.

Il me reste à trouver un peu de travail. La chance est avec moi : tout à côté, un chantier de bateaux. Le jeune français rencontré à mon arrivée obtient pour moi un rendez-vous avec un couple qui construit un voilier en acier et a besoin d'un coup de main. En effet, ils ont vu grand : le montage de la coque se termine : elle mesure 18 mètres « mais il faut ça pour un couple avec 2 enfants » me disent t’ils.
Je doute qu’ils puissent partir naviguer un jour avec ce bâtiment, ce sera sans doute leur résidence.
Me voici donc embauché comme soudeur. Ce jeune couple, qui a deux enfants de l'âge de Cloé, est vraiment sympathique. Ils nous permettent d'utiliser leur adresse pour recevoir notre courrier. Vive l'Australie !
Tous deux travaillent comme des forcenés, et lui cumule même deux emplois.
Il me paye cinquante dollars par jour, ce qui est bien quand on voit les prix très bas au supermarché. Pour cette somme, nous faisons le plein de deux caddies… et une entorse au budget, car Noël approche et une télé en 12 volts (à 50 dollars) trouve sa place dans le carré. Je bricole une antenne en faisant un cercle de 50 cm de diamètre avec un tube cuivre et je l’installe en tête de mât, et nous avons la télé comme à la maison. J’en ris encore car, quand nous recommençons à naviguer, dans les mouillages, nous essayons de suivre l’image qui va et vient au gré de notre position.
Nous découvrons le disco avec les Bee-Gees, ainsi que le comique « Mister Bean », qui fait bien rire Fab (qui comprend mieux l'anglais que moi).
Une fois de plus, nous fêtons Noël sous les tropiques et le sapin sera en plastique, mais les enfants peuvent profiter des cadeaux de la famille, envoyés via l’adresse de Peter, notre nouvel ami, et le repas s’agrémente des petits plus du supermarché.

Nous effectuons quelques améliorations sur Kurma, en particulier un hard-top (abri en contreplaqué plastifié avec un plexiglas pour voir devant) qui couvre la descente et nous abrite des vagues et de la pluie sans être obligés de fermer le capot de descente. Nous l’apprécierons dans la mousson de l’océan indien .

Le jour de notre départ de Brisbane, mes « employeurs »  nous invitent à un repas d’adieu que nous apprécions… moyennement : viande cuite à l’eau, petit-pois vert émeraude… Ils sont curieux de savoir si nous mangeons "VRAIMENT" des escargots et nous posent la question d’un air dégoûté.
Peter, sa femme et ses deux enfants ont un peu la larme à l’œil le matin de notre départ, mais  le leur, ce n’est pas encore.
Ils nous suivront dans notre voyage en Australie pendant quelques temps et ferons gentiment suivre notre courrier.

Ce matin : 7 février 1986
Ciel bleu. Mais l’hiver arrive et il vaut mieux monter vers le nord car la température peut baisser à Brisbane jusqu’à seulement 10° la nuit.
Nous préparons notre départ et démontons toutes les installations que nous avions mises en place afin de rejoindre facilement la terre ferme, mais les laissons sur la berge pour le prochain locataire des lieux qui, je suis sûr, trouvera rapidement la place très pratique puisque le trou est fait.

La marée est haute cet après-midi, nous en profitons pour sortir de la rivière. C’est après avoir nettoyé et rangé toutes les ancres, cordages et chaînes que je mets le moteur en route. Kurma a quelques difficultés à sortir de son trou, et, en remuant beaucoup de boue, il pousse un ouf ! de soulagement et nous voilà au milieu de la rivière.

 
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