Kurma, mon tour du monde en voilier
Page Précédente   Page Suivante

Iles Cook - Samoa - Tonga - Fidji (Juillet-Oct 1985)

NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant

Carte Pacifique Cook - Samoa - Tonga Vers Brisbane Fidji Tonga Samoa Suwarow
Cliquer sur les escales pour un accès direct

Suwarow, La légende disparue (Juillet 1985)

Enfin, nous voilà après trois jours de navigation sous un alizé pépère, voici la passe, et puis le mouillage.
Ce n’est pas la foule, un seul bateau est là !
Je largue l’ancre, et plouf, 25 mètres de fond d’eau limpide si claire que les patates qui montent ont l’air d’être là, toutes proches. Il faudra surveiller la chaîne qui a tendance à vouloir s’entortiller.
Enfin, nous voilà au royaume de Tom Neales. Tom a rejoint son paradis il y a plus de 20 ans, emporté par la maladie, mais nous a laissé, à nous autres, clochards des océans, son île. Son histoire est simple : il s’installe sur cet atoll où il n’y a rien, comme Robinson Crusoë, et y vit heureux en ayant de temps en temps quelques voileux de passage avec qui parler et auxquels offrir son hospitalité.
En échange, ils lui apportent le nécessaire pour entretenir son domaine : ciment, graines, etc..
Hélas, il tombe malade et un jour un navigateur de passage le décide à aller se faire soigner chez lui. Mais, bigre ! son pays d’origine est l’Australie, à 7000 kms de là. Il restera là-bas.
Et le bouche à oreille fait on chemin et les voiliers qui traînent dans cette zone du Pacifique décident de faire survivre la légende.
Nous arrivons donc sur cette île 20 ans après, et surprise ! les visiteurs ont continué à entretenir le domaine de Tom. Tout est propre autour de sa maison, pas de fuite au toit, des murs sans lézardes, le potager est entretenu, les poules vagabondent comme partout sous les tropiques, le barbecue vient juste de servir, et si vous voulez un peu d’eau, la citerne qui récupère l’eau de pluie est propre et pleine.
Mais le plus impressionnant est l’intérieur de l’habitation de Tom : son lit, sa bibliothèque et ses chapeaux. Tout est propre et rangé comme s’il était juste parti faire un tour.
Il ne faut pas oublier que cette île appartient à la Nouvelle Zélande, qui se trouve à 7000 kms de là. Nous aurions dû normalement faire notre clearance. Là-bas. Mais bon, c’est si loin et nous sommes si corrects !
J’oubliais le plus important : le supermarché.
Il est installé à nos pieds, et grouille la nuit de ses yeux brillants. Je veux parler des crabes de Souvarow, énormes, gros comme de grosses langoustes dont ils ont le goût, et délicieux puisqu’ils se nourrissent de cocos qu’ils ouvrent avec leurs gigantesques pinces. Attention aux doigts ! Mais il suffit pour faire une fon barbecue de se promener la nuit avec une lampe électrique et de les faire reculer ainsi dans un sac en jute, et hop, le repas est prêt.
Et puis, il y a le lagon où tous les poissons du Pacifique se sont donnés rendez-vous, car ici ils sont tranquilles, ce ne sont pas les touristes qui les dérangent ! Donc, de temps en temps nous tirons une flèche pour changer l’ordinaire et améliorer le riz. Aussitôt, curieux, ils viennent voir pourquoi un de leurs frères gigote au bout de la flèche, et les requins du lagon aussi voudraient bien participer au casse-croûte. Mais ce sera pour la prochaine fois, et ils nous suivent jusqu’au bateau et nous laissent avec regret, ou restent à l’arrière pour attendre les restes.
Aujourd’hui, corvée de rangement chez Tom. Il s’agit en fait d’arracher la mauvaise herbe du jardinet et de voir s’il n’y a pas quelques légumes à récupérer. Ensuite, il nous faut rechercher les œufs de poule, comme à Pâques, d’ouvrir quelques cocos pour elles. Et au final, un coup de balai à l’entrée de chez Tom, sans oublier la citerne et le toit.
Mission accomplie. Le voilier ami est parti et nous, après quelques balades sur l’atoll, nous ferons de même car la saison des cyclones approche et comme j’ai remarqué un voilier en bois coulé dans le lagon, je ne crois pas que ce soit là un bon abri.
Dommage que cette histoire se termine là, car quelques temps après notre départ, grâce à l’inconscience de certains navigateurs qui ont cru bien faire d’écrire dans les journaux l’histoire de cet atoll, les autorités néo-zélandaises ont envoyé un contingent de bidasses pour faire respecter la loi, et un parc national a été créé dans le but de protéger les derniers crabes. Aujourd’hui, deux ou trois gardiens y demeurent, faisant payer l’entrée en territoire néo-zélandais.
Je suppose que les affaires de Tom ont disparu des étagères...

Iles SAMOA (Pago-Pago - 6 août 1985)

Suwarrow reste derrière nous.
Voilà c'est reparti vers les SAMOA américaines, les plus proches.

Navigation tranquille, mer belle, vent de travers, force 5, le pied !

Kurma est content, il va pouvoir faire un peu d'avitaillement après les cures de crabes et de langoustes sans mayonnaise (c'est plus digeste !) car la cambuse est vide.

Arrivée sans problème dans l'anse de Pago, pleine à craquer de thonniers énormes battant pavillon américain, avec, comme il se doit, l'hélicoptère sur le pont pour repérer ces pauvres thons qui finiront en salade.
Par contre, l'accueil n'est pas terrible de la part des douaniers samoains, peut-être à cause de la place qui manque ou des formalités à remplir car nous n'avons pas de visa.
Obligation donc pour moi de rester à bord pendant que l'équipage fait les courses qui ne dureront pas longtemps car ce quai est infernal et j'entends Kurma gémir sans arrêt sur ses amarres.

Résultat : nous prenons la décision de repartir le plus vite possible, et une fois les formalités de départ terminées, un grand balèze de samoan nous accompagne au bateau, compte le nombre de passagers, vérifie que nous n'oublions personne au cas où l'un de nous voudrait rester illégalement ! (Sic !)
Il ne se baisse même pas pour nous larguer les amarres et reste là les bras croisés pendant que nous prenons la direction de la sortie.

Voilà, c'est parti ! Mais dans notre précipitation, nous avons oublié la météo et nous nous retrouvons dans une mer formée, un temps de chien et du vent pas comme on veut, il va falloir avancer quand même vers Vavau, la première île des Tonga.
Plusieurs jours à se faire secouer sur cette mer complètement folle avec un vent de folie sous voilure reduite. Impossible de faire le point, temps bouché le jour et la nuit.
Après 3 jours et 300 milles dans le cirage, nous mettons à la cape. 4ème nuit d'enfer.

J'espère que, sur les Tonga, il y aura un phare.

Iles TONGA (13 Août 1985)

Iles Tonga

La route s'allonge, et rien dans cette zone.
Les instructions nautiques ne vous rassurent pas ! Pas de cartographie sérieuse !
Les volcans poussent de temps en temps comme des champignons ! Imaginez une montagne qui arrive de plusieurs milliers de mètres de profondeur et qui sort comme ça, sans avertir.
Il paraît aussi qu'ils disparaissent de la même manière.
Un matin, nous avons navigué dans un océan de pierres-ponce, de quoi nettoyer les pieds d'une armée : sûrement un volcan qui vient de disparaître...

Au petit matin, le temps se découvre, et dans le même temps, nous apercevons une île droit devant.
Ouf ! Nous voilà arrivés !
Hé bien, c'est bizarre : ça ressemble à un volcan tout pointu avec plein de verdure et de cocotiers sur la plage devant nous, mais rien d'autre, aucune habitation, aucun signe de vie !

Nous mouillons assez loin car les patates de corail sont nombreuses, et nous aérons le bateau qui est trempé après ces journées de mauvais temps.

Vers les 10 heures je fais une droite de hauteur, puis, vers 11 heures, et après des tas de calculs savants, je me rends à l'évidence : j'ai raté les Tonga ! ou plutôt la première île ou nous aurions dû atterrir.

Et en face de moi, il y a ce volcan inconnu (il s'agissait de Late).
Nous l'apprendrons plus tard, le phare de Vavau était en panne depuis plusieurs jours.

Demi-tour, et cette fois sur une mer d'huile, au moteur !

En fin d'après-midi, nous entrons enfin dans l'étroit goulet qui nous conduit à la ville principale des Tonga du Nord, Neiafu.
Les douaniers sont super sympas, les formalités très vite baclées et nous apprenons que nous avons perdu 1 jour (par rapport aux fuseaux horaires). L'épicerie du coin est prise d'assaut, les timbres et cartes postales aussi.

Et les copains sont là !
"Clos d'eau" vient nous souhaiter la bienvenue ! (partis vers les canaux de Pentagonie pour retourner vers l'Europe, mais à cause des coups de vent, il ont fait demi-tour pour se retrouver ici).

Nous découvrons chaque jour les mouillages fabuleux et la particularité de ces îles volcaniques plantées sur 5000 mètres de fond avec des étendues coralliennes de toutes les couleurs remplies de poissons et coquillages.

Hunga : une belle frousse

Volcan de Hunga (Tonga)

Nous apercevons un immense volcan. Dans son cratère envahi par la mer, un étroit passage et sur son flan intérieur, un petit village de pêcheurs.
Entrer dans le cratère s’avère dangereux  car la marée descend et le courant contraire est très fort. Je n'aurais pas dû prendre la place avant à l’étrave pour voir le fond tandis que mon amie, qui d'habitude me guide en repérant les dangers, conduit Kurma au moteur, mais il faut mettre toute la puissance pour ne pas se mettre en travers du courant et malheureusement, au moment où nous sommes au plus étroit du passage, je vois un énorme rocher sous l'eau.

Trop tard : à pleine vitesse, nous grimpons dessus et sans que nous puissions rien faire, Kurma se hisse sur le rocher, puis le courant le prend par le travers et il commence à se coucher et à tourner, d'abord par la force du courant, puis tout seul en direction de la sortie et il finit par glisser sur le rocher, aidé du moteur et du flot. Nous voyons les rochers défiler de chaque côté à portée de main, puis, enfin, retrouvons la mer.

Une belle frousse : Je mets immédiatement le masque et les palmes et plonge voir les dégâts.
Ouf ! rien n’a pas bougé, et à part une belle rayure dans la peinture, l'acier a tenu le coup.
Nous attendons que la marée remonte et se calme, et cette fois entrons dans le volcan découvrir enfin ce splendide mouillage. S'ancrer n'est pas très simple car nous sommes entourés d'à-pics et il faut vraiment que je jette l’ancre près des rochers. Je suis guère rassuré mais il n'y a pas de vent. L’atmosphère trop calme et la sensation d'être enfermés au milieu de ces hautes parois rocheuses nous oppressent, la nuit nous semble longue et nous repartons le lendemain, avec quelques regrets.

Evidemment, nous faisons d’autres rencontres et découvertes intéressantes comme ce matin, en allant nager avec palme et tubas. Sur le fond de sable à 3 mètres s'offre à nos yeux éblouis un véritable champ de porcelaines-Zoila (très beaux coquillages, recouverts d'une peau qui sans cesse lisse la coquille et lui donne son aspect verni).

Iles FIDJI (28 septembre)

Belle navigation : alizé, mer peu formée, mais malheureusement le vent commence à faiblir et nous nous traînons à 3 nœuds jusqu'à l'approche des premières îles ou, bien sûr, nous n'avons pas le droit de nous arrêter, car ce sont des zones protégés et les autorités fidjiennes ne plaisantent pas .
Le vent revient enfin et c'est bon portant que nous nous dirigeons vers Suva, la capitale.

Le dernier  soir de quart en approchant de l'île j'ai participé à une expérience assez incroyable.
Une bande de  thons appréciant mes besoins par-dessus bord sous la lumière du feu arrière et nous suivait. Je prends mon fusil sous-marin et, sans ralentir Kurma, j'harponne une bête de 3 kilos. Au matin, surprise pour l'équipage.

Il fait une nuit très noire et je commence à voir les lumières de Suva le vent nous pousse très vite vers elles, j'essaie de repérer un feu ou les bouées d'entrée, mais rien. Pourtant Suva est un port commercial mais c'est peut-être bien à cause de cela : les lumières de l'entrée sont soit cachées par les cargos, soit se noient au milieu des éclairages de la ville.
Plus je m'approche et plus je doute de mon approche vers la ville puis, dans le noir, je crois apercevoir une bande noire à fleur d'eau à une distance difficile à évaluer. Je décide alors de repartir vers le large et d'attendre la levée du jour. Au matin, nous reprenons le cap vers Suva et, surprise de taille : aucun feu ne fonctionne et la barrière de corail était juste devant nous.

Suva (2 octobre 1985)

Nous avons hissé le pavillon demandant la douane mais il est très tôt. Alors nous attendons avant de descendre à terre. Enfin, deux grands gaillards se présentent pour nous faire la clearance. Très sympas, juste un peu longs à vouloir repartir, peut-être attendent t'ils  un cadeau mais à part une boisson, nous n'avons rien à leur offrir.
 
A la recherche de gaz pour la cuisine, nous trouvons une adresse en dehors de la ville et nous voilà partis en bus vers la raffinerie avec notre grosse bouteille de 12 kgs. Nous avons trouvé notre bonheur : du gaz, mais encore une fois, la bouteille est différente ! Il me faut donc transvaser ces 12 kilos. Heureusement, le roi de la bricole, c'est moi !
Quelques achats et petits tours à terre, mais Suva est une grande ville et à part le mouillage qui est tranquille, c'est très bruyant.
Nous devons cependant rester quelques jours car nous devons demander un visa à l'Ambassade d'Autralie pour ne pas avoir de problèmes à l'arrivée, car nous avons enfin décidé de la prochaine étape : Brisbane.
Le 16 octobre, après une grande attente et pas mal de paperasses, nous avons enfin notre laissez-passer pour le futur...

Traversée vers Brisbane : 15 jours.

Vent faible au départ puis forcissant le cinquième jour, tout le monde reprend ses habitudes de grande traversée. Le pilote aussi, et les quarts de nuit qui, dans cette zone et jusqu'à Brisbane, ne sont pas inutiles. Nous passons au large de la Calédonie.

Illusions...

Un matin, au lever du jour, alors que je suis de quart, j'aperçois une fusée verte sur ma droite en direction des îles les plus au sud de la Calédonie. J'appelle mon amie pour lui en faire part, nous décidons de changer de cap et de faire route vers cette lumière. Nous supposons qu'il s'agit d'un bateau ou d'un pêcheur en difficulté, et, aux jumelles, nous scrutons l'horizon pendant plusieurs heures au près contre l'alizé et nous nous faisons copieusement mouiller.
En réfléchissant, je me rends compte qu’il n'existe pas de feu de détresse de couleur verte, j’ai dû être victime d’une illusion. Nous abandonnons nos recherches et reprenons notre route.

Le vent et la mer ont forci. Je réduis avec un foc et un ris dans la grande voile.
En regardant la carte, je m'aperçois que, cette nuit, nous devrons passer sur une immense montagne sous-marine longue de plus d’un millier de milles. Nous ne pouvons l'éviter, il n'y a pas vraiment danger car les hauts fonds sont à plus de 50 mètres. Mais, avec ce vent, la mer risque d'être très forte à cet endroit.
Je découvre un passage pas très large où les fonds sont beaucoup plus importants, comme une coupure dans cette « montagne ». La nuit est noire et sans lune, il me faut vite faire un point d'étoile pour être sûr d'être dans ce passage.
Et voilà qu'au moment où je fais l'acrobate avec le sextant et les étoiles, alors que Fab, en bas dans le carré avec le chrono, attend mon top pour le point, je vois devant moi les feux d'un cargo qui fait route inverse. Nous nous croisons à bonne distance, je suis persuadé qu'il m'a vu, et je comprends qu'il a eu la même idée.
Le lendemain, après avoir passé ce mauvais coin,  je vais consulter les pilots charts : effectivement, nous sommes sur une route de cargos qui vont de l’Australie aux Fidji.

Le vent ne se calme pas et nous sommes un peu déviés de notre route en approchant des côtes australiennes. Un courant allant vers le nord nous oblige à faire du sud car nous venons de voir Frazer Island, impressionnante île de sable.

Cap sur Moreton, la baie de Brisbane.

La danse du mât

La nuit tombe. Tout à coup, j'entends un grand bruit et je vois le foc qui flotte tout seul dans les airs. Je réalise que les terribles secousses de la mer ont cassé l'étai, seuls le foc et sa drisse tiennent maintenant le mât, qui commence à danser bizarrement d'avant en arrière. Vite, affaler le foc avant que le mât tombe !
Je me bats contre les coups de boutoir de la mer pour arriver à affaler pendant que Fab à la barre fait de son mieux pour tenir le bateau. Heureusement, j’ai un bas étai pour ma trinquette qui permet au mât de tenir debout un moment jusqu'à la moitié, jusqu’à ce que je trouve une solution de rechange.
Ouf ! Voilà qui est fait ! J’utilise ma drisse de foc, en acier, montée sur enrouleur Goiot, pour remplacer l'étai.
Ayant une drisse textile de rechange, je remets le foc et, vers deux heures du matin, nous entrons dans la baie de Moreton.

Immense baie que nous devrons traverser au moteur mais, pour cette fin de nuit, nous sommes épuisés. Je jette l’ancre derrière un îlot à l’abri de la mer.

 
Valid XHTML 1.0 Strict CSS Valide !