NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant
Enfin, nous voilà après trois jours de navigation
sous un alizé pépère, voici la passe, et puis
le mouillage.
Ce n’est pas la foule, un seul bateau est là !
Je largue l’ancre, et plouf, 25 mètres de fond d’eau
limpide si claire que les patates qui montent ont l’air d’être
là,
toutes proches. Il faudra surveiller la chaîne qui a tendance à
vouloir s’entortiller.
Enfin, nous voilà au royaume de Tom Neales. Tom a rejoint son paradis
il y a plus de 20 ans, emporté par la maladie, mais nous a laissé, à nous
autres, clochards des océans, son île. Son histoire est simple :
il s’installe sur cet atoll où il n’y a rien, comme Robinson
Crusoë, et y vit heureux en ayant de temps en temps quelques voileux de
passage avec qui parler et auxquels offrir son hospitalité.
En échange, ils lui apportent le nécessaire pour entretenir son
domaine : ciment, graines, etc..
Hélas, il tombe malade et un jour un navigateur de passage le décide
à aller se faire soigner chez lui. Mais, bigre ! son pays d’origine
est l’Australie, à 7000 kms de là. Il restera là-bas.
Et le bouche à oreille fait on chemin et les voiliers qui traînent
dans cette zone du Pacifique décident de faire survivre la légende.
Nous arrivons donc sur cette île 20 ans après, et surprise ! les
visiteurs ont continué à entretenir le domaine de Tom. Tout est
propre autour de sa maison, pas de fuite au toit, des murs sans lézardes,
le potager est entretenu, les poules vagabondent comme partout sous les tropiques,
le barbecue vient juste de servir, et si vous voulez un peu d’eau, la citerne
qui récupère l’eau de pluie est propre et pleine.
Mais le plus impressionnant est l’intérieur de l’habitation
de Tom : son lit, sa bibliothèque et ses chapeaux. Tout est propre et
rangé comme s’il était juste parti faire un tour.
Il ne faut pas oublier que cette île appartient à
la Nouvelle Zélande, qui se trouve à 7000 kms de là. Nous
aurions dû normalement faire notre clearance. Là-bas. Mais bon,
c’est si loin et nous sommes si corrects !
J’oubliais le plus important : le supermarché.
Il est installé à nos pieds, et grouille la nuit de ses yeux
brillants. Je veux parler des crabes de Souvarow, énormes, gros comme
de grosses langoustes dont ils ont le goût, et délicieux puisqu’ils
se nourrissent de cocos qu’ils ouvrent avec leurs gigantesques pinces.
Attention aux doigts ! Mais il suffit pour faire une fon barbecue de se promener
la nuit avec une lampe électrique et de les faire reculer ainsi dans
un sac en jute, et hop, le repas est prêt.
Et puis, il y a le lagon où tous les poissons du Pacifique se sont donnés
rendez-vous, car ici ils sont tranquilles, ce ne sont pas les touristes qui les
dérangent ! Donc, de temps en temps nous tirons une flèche pour
changer l’ordinaire et améliorer le riz. Aussitôt, curieux,
ils viennent voir pourquoi un de leurs frères gigote au bout de la flèche,
et les requins du lagon aussi voudraient bien participer au casse-croûte.
Mais ce sera pour la prochaine fois, et ils nous suivent jusqu’au bateau
et nous laissent avec regret, ou restent
à l’arrière pour attendre les restes.
Aujourd’hui, corvée de rangement chez Tom. Il s’agit en
fait d’arracher la mauvaise herbe du jardinet et de voir s’il n’y
a pas quelques légumes à récupérer. Ensuite, il nous
faut rechercher les œufs de poule, comme à Pâques, d’ouvrir
quelques cocos pour elles. Et au final, un coup de balai à
l’entrée de chez Tom, sans oublier la citerne et le toit.
Mission accomplie. Le voilier ami est parti et nous, après quelques
balades sur l’atoll, nous ferons de même car la saison des cyclones
approche et comme j’ai remarqué un voilier en bois coulé dans
le lagon, je ne crois pas que ce soit là un bon abri.
Dommage que cette histoire se termine là, car quelques temps après
notre départ, grâce à l’inconscience de certains navigateurs
qui ont cru bien faire d’écrire dans les journaux l’histoire
de cet atoll, les autorités néo-zélandaises ont envoyé un
contingent de bidasses pour faire respecter la loi, et un parc national a été créé dans
le but de protéger les derniers crabes. Aujourd’hui, deux ou trois
gardiens y demeurent, faisant payer l’entrée en territoire néo-zélandais.
Je suppose que les affaires de Tom ont disparu des étagères...
Suwarrow reste derrière nous.
Voilà c'est reparti vers les SAMOA américaines, les plus proches.
Kurma est content, il va pouvoir faire un peu d'avitaillement après les cures de crabes et de langoustes sans mayonnaise (c'est plus digeste !) car la cambuse est vide.
Arrivée sans problème dans l'anse de Pago, pleine à craquer
de thonniers énormes battant pavillon américain, avec, comme
il se doit, l'hélicoptère sur le pont pour repérer ces
pauvres thons qui finiront en salade.
Par contre, l'accueil n'est pas terrible de la part des douaniers samoains,
peut-être à cause de la place qui manque ou des formalités
à remplir car nous n'avons pas de visa.
Obligation donc pour moi de
rester à bord pendant que l'équipage
fait les courses qui ne dureront pas longtemps car ce quai est infernal et
j'entends Kurma gémir sans arrêt sur ses amarres.
Résultat : nous prenons la décision de repartir le plus vite
possible, et une fois les formalités de départ terminées,
un grand balèze de samoan nous accompagne au bateau, compte le nombre
de passagers, vérifie que nous n'oublions personne au cas où l'un
de nous voudrait rester illégalement ! (Sic !)
Il ne se baisse même pas pour nous larguer les amarres et reste là
les bras croisés pendant que nous prenons la direction de la sortie.
Voilà, c'est parti ! Mais dans notre précipitation, nous avons
oublié la météo et nous nous retrouvons dans une mer
formée, un temps de chien et du vent pas comme on veut, il
va falloir avancer quand même vers Vavau, la première île
des Tonga.
Plusieurs jours à se faire secouer sur cette mer complètement
folle avec un vent de folie sous voilure reduite. Impossible de faire le
point, temps bouché le jour et la nuit.
Après 3 jours et 300 milles dans le cirage, nous mettons à la
cape. 4ème nuit d'enfer.
J'espère que, sur les Tonga, il y aura un phare.
La
route s'allonge, et rien dans cette zone.
Les instructions nautiques ne vous rassurent pas ! Pas de cartographie sérieuse
!
Les volcans poussent de temps en temps comme des champignons ! Imaginez une
montagne qui arrive de plusieurs milliers de mètres de profondeur
et qui sort comme ça, sans avertir.
Il paraît aussi qu'ils disparaissent de la même manière.
Un matin, nous avons navigué dans un océan de pierres-ponce,
de quoi nettoyer les pieds d'une armée : sûrement un volcan qui vient
de disparaître...
Au petit matin, le temps se découvre, et dans le même temps,
nous apercevons une île droit devant.
Ouf ! Nous voilà arrivés !
Hé bien, c'est bizarre : ça ressemble à un volcan tout
pointu avec plein de verdure et de cocotiers sur la plage devant nous, mais
rien d'autre, aucune habitation, aucun signe de vie !
Nous mouillons assez loin car les patates de corail sont nombreuses, et nous aérons le bateau qui est trempé après ces journées de mauvais temps.
Vers les 10 heures je fais une droite de hauteur, puis, vers 11 heures, et après des tas de calculs savants, je me rends à l'évidence : j'ai raté les Tonga ! ou plutôt la première île ou nous aurions dû atterrir.
Et en face de moi, il y a ce volcan inconnu (il s'agissait de Late).
Nous l'apprendrons plus tard, le phare de Vavau était en panne depuis
plusieurs jours.
Demi-tour, et cette fois sur une mer d'huile, au moteur !
En fin d'après-midi, nous entrons enfin dans l'étroit goulet
qui nous conduit à la ville principale des Tonga du Nord, Neiafu.
Les
douaniers sont super sympas, les formalités très vite
baclées et nous apprenons que nous avons perdu 1 jour (par rapport
aux fuseaux horaires). L'épicerie du coin est prise d'assaut,
les timbres et cartes postales aussi.
Et les copains sont là !
"Clos d'eau" vient nous souhaiter la bienvenue
! (partis vers les canaux de Pentagonie pour retourner
vers l'Europe, mais à cause des coups de vent, il ont fait demi-tour
pour se retrouver ici).
Nous découvrons chaque jour les mouillages fabuleux et la particularité de ces îles volcaniques plantées sur 5000 mètres de fond avec des étendues coralliennes de toutes les couleurs remplies de poissons et coquillages.
Belle navigation : alizé, mer peu formée, mais malheureusement
le vent commence à faiblir et nous nous traînons à 3 nœuds
jusqu'à l'approche
des premières îles ou, bien sûr, nous n'avons pas le droit de nous
arrêter, car ce sont des zones protégés et les autorités
fidjiennes ne plaisantent pas .
Le vent revient enfin et c'est bon portant que nous nous dirigeons vers Suva,
la capitale.
Le dernier soir de quart en approchant de l'île j'ai participé à
une expérience assez incroyable.
Une bande de thons appréciant mes besoins par-dessus bord
sous la lumière du feu arrière et nous suivait. Je prends mon
fusil sous-marin et, sans ralentir Kurma, j'harponne une bête de 3
kilos. Au matin, surprise pour l'équipage.
Il fait une nuit très noire et je commence à voir les lumières
de Suva le vent nous pousse très vite vers elles, j'essaie de repérer
un feu ou les bouées d'entrée, mais rien. Pourtant Suva est
un port commercial mais c'est peut-être bien à cause de cela : les
lumières
de l'entrée sont soit cachées par les cargos, soit se noient
au milieu des éclairages
de la ville.
Plus je m'approche et plus je doute de mon approche vers la ville puis, dans
le noir, je crois apercevoir une bande noire à fleur d'eau à une distance
difficile à évaluer. Je décide alors de repartir vers le large
et d'attendre la levée du jour. Au matin, nous reprenons le cap vers Suva
et, surprise de taille : aucun feu ne fonctionne et la barrière
de corail était
juste devant nous.
Nous avons hissé le pavillon demandant la douane mais il est très
tôt. Alors nous attendons avant de descendre à terre. Enfin,
deux grands gaillards se présentent pour nous
faire la clearance. Très sympas, juste un peu longs à vouloir
repartir, peut-être attendent
t'ils un cadeau mais à part une boisson, nous n'avons rien à leur
offrir.
A la recherche de gaz pour la cuisine, nous trouvons une adresse
en dehors de la ville et nous voilà partis en bus vers la raffinerie
avec notre grosse bouteille de 12 kgs.
Nous avons trouvé notre bonheur : du gaz, mais encore
une fois, la bouteille est différente
! Il me faut donc transvaser ces 12 kilos. Heureusement, le roi de la bricole,
c'est moi !
Quelques achats et petits tours à terre, mais Suva est une grande ville
et à part le mouillage qui est tranquille, c'est très
bruyant.
Nous devons cependant rester quelques jours car nous devons demander
un visa à l'Ambassade d'Autralie pour ne pas avoir de problèmes
à l'arrivée, car nous avons enfin décidé de la prochaine étape
: Brisbane.
Le 16 octobre, après une grande attente et pas mal de paperasses, nous avons
enfin notre laissez-passer pour le futur...
Vent faible au départ puis forcissant le cinquième jour, tout le monde reprend ses habitudes de grande traversée. Le pilote aussi, et les quarts de nuit qui, dans cette zone et jusqu'à Brisbane, ne sont pas inutiles. Nous passons au large de la Calédonie.
Un matin, au lever du jour,
alors que je suis de quart, j'aperçois
une fusée verte sur ma droite en direction des îles les
plus au sud de la Calédonie. J'appelle mon amie pour lui en faire
part, nous décidons de changer de cap et de faire route vers cette
lumière. Nous supposons qu'il s'agit d'un bateau ou d'un pêcheur
en difficulté, et, aux jumelles, nous scrutons l'horizon pendant
plusieurs heures au près contre l'alizé et nous nous faisons
copieusement mouiller.
En réfléchissant, je me rends compte
qu’il n'existe
pas de feu de détresse de couleur verte, j’ai dû être
victime d’une illusion. Nous abandonnons nos recherches et reprenons
notre route.
Le vent et la mer ont forci. Je réduis avec un foc
et un ris dans la grande voile.
En regardant la carte, je m'aperçois
que, cette nuit, nous devrons passer sur une immense montagne sous-marine
longue de plus d’un
millier de milles. Nous ne pouvons l'éviter, il n'y a pas vraiment
danger car les hauts fonds sont à plus de 50 mètres. Mais,
avec ce vent, la mer risque d'être très forte à cet
endroit.
Je découvre un passage pas très large où les
fonds sont beaucoup plus importants, comme une coupure dans cette « montagne ».
La nuit est noire et sans lune, il me faut vite faire un point d'étoile
pour être sûr d'être dans ce passage.
Et voilà qu'au
moment où je fais l'acrobate avec le sextant
et les étoiles, alors que Fab, en bas dans le carré avec
le chrono, attend mon top pour le point, je vois devant moi les feux
d'un cargo qui fait route inverse. Nous nous croisons à bonne
distance, je suis persuadé qu'il m'a vu, et je comprends qu'il
a eu la même idée.
Le lendemain, après avoir passé ce
mauvais coin, je
vais consulter les pilots charts : effectivement, nous sommes sur une
route de cargos qui vont de l’Australie aux Fidji.
Le vent ne se calme pas et nous sommes un peu déviés de notre route en approchant des côtes australiennes. Un courant allant vers le nord nous oblige à faire du sud car nous venons de voir Frazer Island, impressionnante île de sable.
La nuit tombe. Tout à coup, j'entends un grand bruit et je vois
le foc qui flotte tout seul dans les airs. Je réalise que les
terribles secousses de la mer ont cassé l'étai, seuls le
foc et sa drisse tiennent maintenant le mât, qui commence à danser
bizarrement d'avant en arrière. Vite, affaler le foc avant que
le mât tombe !
Je me bats contre les coups de boutoir de la
mer pour arriver à affaler
pendant que Fab à la barre fait de son mieux pour tenir le bateau.
Heureusement, j’ai un bas étai pour ma trinquette qui permet
au mât de tenir debout un moment jusqu'à la moitié,
jusqu’à ce que je trouve une solution de rechange.
Ouf !
Voilà qui est fait ! J’utilise ma drisse de foc,
en acier, montée sur enrouleur Goiot, pour remplacer l'étai.
Ayant
une drisse textile de rechange, je remets le foc et, vers deux heures
du matin, nous entrons dans la baie de Moreton.
Immense baie que nous devrons traverser au moteur mais, pour cette fin de nuit, nous sommes épuisés. Je jette l’ancre derrière un îlot à l’abri de la mer.