NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant
Nous voici prêts pour la (première)
plus longue traversée de Kurma.
En route vers Dakar !
L’alizé est là, pas très fort, ce n’est
que mieux pour s’amariner et, toute voiles dehors, nous filons
vers le sud.
Cette traversée sera relativement tranquille. Je reste au
large, préférant
éviter les côtes de Mauritanie, dangereuses car elles
sont basses.
Nous rencontrons quelques bateaux de pêche au niveau de Nouakchott,
puis plus rien jusqu'au phare des Almadies à
Dakar.
Nous contournons la pointe des Mamelles et allons nous mettre à l’abri
dans une anse bien protégée au pied de la ville.
Ici, des centaines de voiliers restent ou partent vers l’aventure.
Certains vont vers la Casamance ou en reviennent, d’autres
se préparent pour les Antilles ou le Brésil.
Nous en profitons pour récupérer notre courrier à l’Ambassade
de France, où nous sommes très bien accueillis, et
visitons Dakar.
La visite de la ville ne peut se faire sans visiter les marchés
:
Il y a le marché aux voleurs : c'est ici que l'on vous revend
(pour pas cher !) votre propre appareil-photo (qui avait récemment
disparu de votre sac) !!!
Depuis quelques jours, je suis à la recherche d’antifouling
pour le bateau et, sur les indications d’un ami, je me rends
avec Kurma dans le port de Dakar. Evidemment, j'aurais dû y
penser, on me vend un bidon de 25kg pour un prix dérisoire… je
ne pose pas la question de la provenance !
Il y a aussi le marché des fripes, toutes plus au moins estampillées "Secours
Français". On sourit
à la vue des sénégalais qui se baladent coiffés
de bonnets de ski bleu blanc rouge en laine. Il y a peut-être
celui de Jean-Claude Killy dans le tas…
Mais il parait que ces bonnets sont efficaces contre le soleil, il
fallait y penser ! Nous verrons la même chose en Casamance.
Nous avons recueilli un chat… Il nous faut donc de la litière
pour chats.
C'est à l’Ambassade que l'on nous donne le numéro
d’une personne sensée nous en trouver, qui nous donne
rendez-vous dans la zone industrielle. C'est un français qui
nous attend là. Il nous conduit vers un immense hangar de
stockage et en ouvre la petite porte.
Et là, surprise ! Nous découvrons une montagne de grains
de phosphate !
"Prenez ce que vous désirez", nous dit-il.
Nous avons l’air tout bêtes avec notre sac à voile.
Je découvre que la litière à chat fait la fortune
des exploitations de phosphate. Nous en aurons pour toute la traversée… et
plus encore !
Tous les matins, dans cette baie, un vieux pêcheur passe avec
sa pirogue derrière nous, en direction du large et revient
le soir.
Sa voile est pittoresque : un patchwork de morceaux de tissus de
toutes les couleurs avec pleins de trous.
Je l’interpelle et lui demande pourquoi il ne répare
pas les trous. Il me regarde avec un grand sourire : cela risquerait
de faire chavirer la pirogue quand il y a des rafales de vent !
ET PUIS…
Un jour, nous faisons une pêche miraculeuse dans ce mouillage.
Des millions d’anchois viennent se réfugier sous nos
coques, sûrement pour se protéger de leurs prédateurs,
les thons.
A l'aide de seaux attachés à une corde, nous prélevons
quelques kilos d’anchois que nous mettrons au sel.
Nous avons aussi droit au vent du désert, qui souffle assez
longtemps pour nous couvrir de sable et jaunir toute la ville.
Et ce matin, je suis réveillé par un orchestre. Je
sors sur le pont et, surprise ! un voilier est en train de fêter
son départ vers le Brésil. Il fait le tour du mouillage
avec un équipage de musiciens dont chacun a sorti son instrument.
Tous seront très applaudis et tous les bateaux sortiront leur
corne de brume pour leur souhaiter bon voyage.
A Dakar, chaque jour, c’est la fête assurée grâce aux arrivées et départs des bateaux.
Mais notre choix est fait : nous irons en Casamance pendant la saison des tornades.
Nous avons pris quelques renseignements pour le trajet qui, lui,
est simple.
Le seul problème est le passage de la barre de la Casamance.
Normalement, il devrait y avoir une bouée sifflante, car ce
secteur est souvent envahi de brumes.
Au matin, le fleuve est là, mais le folklore commence : la
bouée est inexistante, et nous n'en voyons pas l'entrée.
Heureusement, en s’approchant, nous la découvrons grâce à
un voilier ancré vers l’île de Carabane.
Nous survolons la barre avec les fesses serrées, car dans
cette eau boueuse, le sondeur ne fonctionne plus.
Après quelques minutes d’angoisse, portés par
la vague, nous entrons enfin en Casamance...
Nous nous dirigeons vers l'île. Je jette l'ancre. Fatigué par cette nuit sans sommeil, je décide de faire une sieste pour récupérer...
4 heures de l'après-midi.
Je me réveille. Je crois que c'est le calme qui m'a réveillé,
le silence plutôt, à peine un clapotis sur la coque.
En sortant, je réalise que le paradis n'est pas si loin :
une plage, des cocotiers, quelques cases, et au loin l'océan
avec sa barre qui déferle toute blanche comme pour vous dire
: "vous y êtes (au paradis)"
Descente à terre. Rencontre avec une famille sénégalaise
qui nous offre des noix de coco à boire. Quel plaisir ! Nous
n'avons pas de frigo et on a l'impression que l'eau qui coule en
nous est fraîche.
Le soir est tombé, et le soleil se couche, nous envoyant ses
orange de rêve et ses nuages d'alizés.
Le matin, c'est encore plus beau.
Nous disons au revoir à nos amis d'un jour, et partons vers
le sud dans un affluent. Il faut prendre les courbes en extérieur
pour ne pas se planter dans les bancs de sable.
Au détour d'un virage, d'un côté une île,
et de l'autre, un peu plus loin, un village.
Nous décidons de mouiller devant l'île, et descendons à
terre avec l'annexe pour une promenade. Beaucoup de buissons de mangrove
et de sable, dans lequel nous découvrons des traces d'animaux.
L'une d'elle nous fascine. Est-ce un gros singe ? Nous la suivons
un moment et un grondement se fait entendre. Ouf ! je crois que ce
singe n'est pas content ! Demi-tour ! on remonte à bord.
Nous levons l'ancre et rejoignons le village. Plusieurs villageois
essaient de nous expliquer que l’îlot où nous
avons débarqué
se nomme... l'île aux panthères !!! Il ne s'agissait
pas d'empreintes de singe... Nous l'avons échappé belle
!
* * *
Gentil accueil des pêcheurs qui admirent la couleur de Kurma
(un très joli orange corail). Ils en rêvent pour leurs
pirogues (qui sont d'ailleurs magnifiquement peintes : pour passer
la barre lorsqu'ils vont pêcher en hautes mers, les couleurs
sont sensées attirer les bons esprits et la chance), et moi,
je suis attiré par leurs filets de pêche de 3 à 4
m de large sur 100 à 200 m de long, et tous lestés
avec des pierres et des flotteurs de bois. Le chef est d'accord :
nous troquerons peinture contre filets...
Nous restons plusieurs jours devant ce charmant village.
Le chef et le sorcier sont venus visiter Kurma. La cuisinière,
le four où l'on peut voir ce qui est en train de cuire, les
couchettes... tout les fait rire aux éclats. Surtout les WC.
Là, par mime évidemment, on leur explique comment ça
marche. C'est la grande rigolade !
Une amitié naît alors, et à partir de ce moment,
les villageois défilent devant Kurma pour exposer leurs problèmes
de toutes sortes, de santé notamment. Nous faisons ce que
nous pouvons à l'aide de notre maigre pharmacie composée
d'aspirine, d'homéopathie et de quelques fils et aiguilles.
En échange, nous recevons poulets (vivants), cocos, fruits,
légumes, et un cochon sauvage qu'ils ont tué et nettoyé pour
nous. Suprême cadeau, car ils sont tous musulmans. Nous passons
un jour et une nuit à
le mettre en conserve (à 45° à l'ombre, il ne faut
pas attendre).
Le comble du bonheur est atteint le jour de notre départ (il
faut bien partir un jour...).
Le chef et tout le village nous couvrent de talismans, un pour le
bateau, et un pour chacun d'entre nous, que nous porterons attaché au
bras gauche dans un étui de cuir pendant des années.
Est-ce grâce à cela que la chance nous a protégés
tout au long de notre voyage, Kurma et nous ?
A la chance et à la curiosité de notre aventure, ajoutons
peut-être le culot.
Nous repartons le long de la rivière, nous arrêtons
dans une courbe, ramassons des milliers de coques pour les repas,
des huîtres de la mangrove, des pêches miraculeuses grâce à notre
filet posé le soir à 17 heures et relevé le
matin à 6 h.
Notre problème étant la conservation du poisson, nous
gardons le magnifique "capitaine" (un poisson de 2 à 20
kg que l’on ne trouve qu’ici) pour nos repas, préparons
quelques salaisons pour le futur et distribuons le reste de notre
pêche aux villageois, ce qui nous rend sympathiques à leurs
yeux... et le lendemain, nous devons dire STOP à tous les
présents : poulets, fruits, légumes...
Nous admirons la simplicité et la gentillesse de ce peuple.
Mais pourquoi faut-il toujours aller voir si c'est mieux « ailleurs »
?
Il faut dire que la saison des tornades approche, nous devons nous éloigner
de l'entrée de la Casamance et nous enfoncer dans la jungle
pour la sauvegarde de Kurma.
Nous entrons ainsi dans un pays inconnu de fleuves en rivières
et bolongs très étroits. Les moustiques nous harcèlent
le jour, la nuit. Avant les tornades, le ciel s'assombrit, un immense
nuage noir et bas nous recouvre, et en dessous, le vent, la pluie
en tous sens, le bateau qui tire sur son ancre. Et les feuilles des
arbres, les animaux de tous genres tourbillonnent dans ce marasme,
atterrissent sur le pont, courent dans tous les sens. et parfois
même entrent par la moustiquaire car en cette période,
il est impossible de s'enfermer complètement à l'intérieur
pour des raisons de sécurité (il nous faut sortir vérifier
l'ancre et le mouillage) et de température, car sous les tornades,
le thermomètre atteint 45 à 50° !
Transporteur de roseaux