Kurma, mon tour du monde en voilier
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Brésil (nov.1981-Juin 1982)

NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant

Brésil - Guyane Fernando de Norhona Recife Salvador de Bahia Cayenne Cliquer sur les escales pour un accès direct

Fernando de Noronha

8 novembre 1981, 15h15. Terre !
21h10. Voilà l’île avec son doigt levé vers le ciel.
Nous trouvons un mouillage qui roule beaucoup.
Loin de la plage.
Nous sommes seuls et tentons de joindre la terre pour les formalités.
Très acrobatique, l’arrivée sur la plage se fait au surf nous avons pris les palmes et le canot nous a servi juste pour avoir des vêtements secs, car nous nous sommes mis à l’eau pour éviter de chavirer.
Pour le retour, nous verrons !
Nous grimpons dans le sentier qui nous mène vers le village.
Soudain, la musique de tout un orchestre arrive à nos oreilles. Nous continuons notre escalade, et rejoignons une piste. Là passe devant nous un camion à benne chargé d’une dizaine de brésiliens qui tapent sur des jantes, le toit du camion, enfin, partout où ils peuvent : voilà notre orchestre !
Le camion s’arrête, et les occupants nous indiquent la direction du village.
Nous allons enfin faire notre entrée au Brésil.
Mais non ! Espoir déçu, car ici, c’est une base militaire… et il nous faudra recommencer les formalités plus tard.
Cela n’empêche pas que nous pouvons rester quelques temps.

Le soir même, trois jeunes brésiliens nous invitent à un barbecue improvisé sur la plage. Quand nous arrivons, l'un d'entre eux prépare la cocotte pour faire cuire les langoustes que les deux autres sont partis pêcher en plongée.
A leur retour ils mettent les langoustes à cuire, ainsi que du riz.

Après s’être rempli l’estomac, ils vont nous faire une démonstration de leurs talents de musiciens avec : des bidons, une cocotte, une jante de voiture avec un ressort coincé dedans… tout cela fera un orchestre formidable… c’est vrai que nous sommes au Brésil.

Pêche à la langouste  Pêche à la langouste
Pêche à Fernando de Norhona

Nous visitons l'île en compagnie de nos trois guides brésiliens.
Ils nous emmènent dans la montagne à la rencontre des chèvres de l’île, charmantes avec leurs longs poils noirs et surtout leurs yeux bordés de grands cils.
Et aussi la baie où chaque année viennent se reproduire les dauphins qui, lorsqu'ils naissent viennent, paraît-il, jouer avec vous… mais nous ne sommes pas à la saison des naissances.
Nous profitons aussi des fonds marins magnifiques… sauf lorsque, par moments, les requins s'approchent : ils voudraient bien aussi profiter de nos poissons, et dans ce cas, il ne vaut mieux pas insister.
Un des équipiers de Brocéliande, un voilier qui vient d’arriver, en a fait la fâcheuse expérience : le requin l'a obligé à monter sur un rocher et n'était pas décidé à le laisser filer ! Ses coéquipiers ont été obligés d'aller le chercher avec le dinghy, sinon il y serait encore !

Les voiliers Kurma et Brocéliande
Kurma (rouge) et Brocéliande (bleu)

Nous devons bientôt quitter Fernando.
Ses habitants, dont nos trois copains, nous font cadeau d’une carte postale sur laquelle ils ont inscrit leurs prénoms pour ne pas qu’on les oublie : Cicero, Damiao, Antonio.

Carte postale de Fernando de Norhona

25 novembre 1981

Nous voilà de nouveau en route vers le Brésil, et cette fois, Salvador de Bahia sera notre prochaine étape. Nous avons perdu sur la radio notre contact de Bahia, mais ça n’a pas d’importance, nous avons pensé à noter son numéro de téléphone !

Salvador de Bahia

Salvador de Bahia

L’alizé nous y emmène sans problème et nous entrons enfin dans La Baie de tous les Saints après 5 jours de navigation assez calme.
Nous accostons directement derrière la grande jetée au pied de cette ville de plusieurs millions d’habitants. Plutôt que de choisir une marina, nous préférons mouiller dans l’enclos de la marine.

L’accueil est chaleureux, mais nous devons faire attention à ne pas choquer les militaires : tenue correcte exigée, et il nous est demandé d'attendre le matin que le drapeau soit monté avant de sortir devant les sentinelles.
Nous sommes bien gardés !
Nous visitons le "mercado modelo", les rues de Bahia, les églises (au nombre de 200).
Puis nous téléphonons à nos amis pour leur dire que nous sommes bien arrivés.

André et Vera viennent nous chercher au bateau et nous kidnappent pour un séjour de deux semaines chez eux, du coté d’Itaparica. Nous passons ensemble des moments

La gynécologue

Mon amie profite de cette escale civilisée pour aller voir un gynécologue que lui a conseillé Vera. Elle se rend à la consultation et se déshabille.
La découvrant nue, la gynécologue se met à pousser de grands cris, tire tous les rideaux et l’oblige à se rhabiller. Ensuite, sans la toucher, elle l’ausculte du regard et lui annonce que sa grossesse se passe bien !
Bien sûr, mon amie est surprise, mais nous apprenons que, dans ce pays, les médecins font leurs études aux USA et emploient des techniques modernes… mais ils gardent les tabous de leurs ancêtres, qui leur interdisent de toucher une femme enceinte.
Résultat : si, au dernier moment, l’accouchement ne se passe pas bien… ils procèdent sans scrupule à une césarienne.

A notre retour de vacances, et pendant 2 semaines, nous participons malgré nous au carnaval. Pendant cette période, jour et nuit, nous vivons au rythme de la samba. Bien que nous soyons amarrés à distance de la ville, la musique nous empêche de dormir ou nous réveille en sursaut.
Alors, pour ne pas être en reste, nous nous mêlons à la foule qui suit les blocos, écoles de samba, qui sont séparés de la foule par une corde, et surtout les orchestres : il s'agit de trios electricos , de gros camions décorés bardés de baffles de milliers de watts, sur le toit desquels sont juchés les musiciens qui jouent sans fatigue la musique locale, (axé baiano, un mélange de reggae et de samba).
La foule danse et saute tellement qu'on l'a surnommée pipoca (pop-corn).
Nous rencontrons des hommes qui dansent, une bouteille de rhum à la main, en perfusion directe dans les veines !
Sur le toit d’un camion de musique, une lance à incendie projette sur la foule du trichloréthylène. Nous évitons de rester à proximité, car je suppose que ce n’est pas très sain !

A Bahia, le carnaval est vraiment le "carnaval du peuple", les costumes des écoles de sambas ne sont pas aussi fastueux qu’à Rio.
Mais tout le monde participe et c’est très impressionnant de faire partie de cette foule en délire qui danse sans arrêt jour et nuit.

Bahia fête aussi la mer, et ce week-end, toutes les embarcations se réunissent sur l’eau pour faire la fête.

Fête de la Mer à Bahia  Fête de la Mer à Bahia
Fête de la mer à Bahia

Mais le temps passe. Nous décidons de quitter un peu la ville, et d’aller nous promener dans la baie.
Nous découvrons un petit village sympathique sur l’île d’Itaparica. Tous les matins, les gens vont, avec leur âne et leurs jerricans, chercher l’eau à la fontaine du village. De l'eau gratuite et minérale ! J’en profite pour faire le plein du réservoir.
Dans un autre endroit de la baie, une magnifique cascade descend de la montagne, et au pied, les pêcheurs ont construit un bassin où il fait bon se rafraîchir.
Nous continuons en prenant l’initiative de remonter le Rio Paragaçu.
Depuis notre périple au Sénégal, nous avons l'habitude de remonter de petits cours d'eau !
Nous découvrons les barques de transports à voiles qui font le va-et-vient depuis l’intérieur pour amener à Bahia les fruits et légumes du marché.
Au bout de cette rivière, nous sommes arrêtés par un pont. Nous visitons le joli village de Cachoeira avec ses rues en pente.

De retour à Bahia, nous explorons la vieille ville et allons voir une école de "capoeira". A la fois danse et technique de combat, cela ressemble à la boxe française.
Sur le port, pour quelques pièces, les conteurs vous proposent de raconter votre propre voyage, accompagnés de leur guitare, comme nos troubadours d'antan. Et tout le monde écoute.

Recife

Le mois d'avril s'achève. Après cinq mois passés dans cette région qui nous enchante, nous devons rejoindre Recife pour des formalités au Consulat. En effet, notre nouvel équipier en fabrication ne va pas tarder à arriver.
Il nous faut donc trouver un endroit tranquille pour rester quelques temps pas trop loin de la civilisation.
Et surtout trouver le Consulat français très rapidement, car ici, on ne plaisante pas avec les naissances ! Mon amie devra s'y présenter avec son gros ventre pour prouver sa situation.
La future maman n’est plus en état de prendre la mer. Alors, elle prend le bus jusqu'à Recife où des amis de André et Véra l’accueillent chez eux pour quelques jours tandis que je fais la traversée seul à bord.
Harry, sa femme et ses enfants feront tout et même trop pour choyer cette nouvelle maman, mais elle sera contente de les laisser et de retrouver le calme de Kurma.

Trois jours de mer, et nous y voilà.
Nous nous installons à la marina et rencontrons le Commodore, qui en est avec sa femme le gérant. Ici, il n’y a pratiquement que des bateaux à moteur appartenant à des Brésiliens fortunés, sociétaires de ce port de plaisance.
Bien sûr, nous demandons le prix et restons complètement abasourdis : cela va nous coûter 15 dollars par jour pour profiter de cette magnifique marina.
Dans notre tête, nous faisons rapidement le calcul : dans combien de temps le moussaillon doit-il arriver ?
Et, discrètement, nous repartons sans avoir demandé s’il fallait verser une avance.

Plage à Recife
Plage à Recife

Derrière la marina, entourée d'un grand mur et gardée jour et nuit, il y a 4 ou 5 kilomètres de favelas que nous traversons pour aller faire les courses.
Nous sommes un peu inquiets au début, mais mise à part la curiosité des habitants, nous ne rencontrerons jamais aucun problème.
Au cours des semaines précédant l'accouchement, nous apprenons à les connaître.
Nous entrons en relation avec un gynécologue qui accepte, non sans mal, de faire un accouchement normal. Notre amie brésilienne de Recife nous a expliqué qu'ici, les femmes blanches, ou celles qui ont de l'argent, décident généralement du jour de leur accouchement. Elles prennent alors rendez-vous avec la clinique, et, la veille du jour J, se rendent chez l’esthéticienne et le coiffeur. Enfin prêtes, elles se présentent à la clinique comme prévu, et l’accouchement est fait par césarienne, sous anesthésie totale.
Elle-même a eu cinq enfants de cette façon !

8 juin 1982 : le nouvel équipier s'annonce.

Quel folklore ce jour-là !
J'ai dû me faire passer pour un médecin afin de pouvoir assister à l'accouchement, ce que les hommes d'ici ne font jamais. Et pour clore le tout, le médecin –le vrai- a été en retard, tellement en retard que l’infirmière de service a du faire son travail. Finalement, tout s’est bien terminé et le mousse est content de son arrivée.
Le médecin ne s'étant pas montré, nous avons fait l'économie de ses honoraires… et le lendemain, tout le monde a été de retour sur Kurma.
Tous contents de retrouver le calme…
Mais je dois me transformer en infirmier pour soigner ce petit monde.

Le photographe

Damien va immédiatement avoir droit à son passeport brésilien, car c’est la loi.
Pour cela, il nous faut des photos d’identité. Et la course (à pieds) commence, de photographe en photographe, car aucun ne fait de photo en couleurs.
Enfin, en voici un qui nous fait la photo du siècle : il oublie de mettre la pellicule ! Heureusement, il s’en aperçoit avant que nous repartions, alors on recommence… et le lendemain, il vient jusqu’au bateau nous dire… qu’elles sont ratées.
Heureusement que sur le chemin du retour, nous avions fait faire des photos noir et blanc chez un autre professionnel. Et finalement, celles-ci ont suffi à l'administration brésilienne… d'autant que quelques semaines après, la photo ne serait plus vraiment ressemblante !!!


Mais voilà de nouveaux petits problèmes : nous avons finalement dépassé le temps imparti au visa, et nous devons payer une amende ! Pourtant, la douane nous avait certifié que, dans notre situation, nous n’aurions aucun souci !
Le plus amusant est cependant lorsqu'on nous dit, avec le sourire, que le bébé, lui, peut rester ! Évidemment, il est brésilien pas nous !!!

Nous sommes en juin 1982, et c’est la coupe du monde de football.
Le Brésil et les Brésiliens sont bien sûr sont dans tous leurs états, et nous accélérons notre départ à cause de la note de la marina.
Enfin, un matin, je me rends au bureau du Commodore chercher la "douloureuse".
Celui-ci demande la note à sa secrétaire, la lit, et me regarde… puis, tranquillement, la déchire et m’annonce que ce sera gratuit pour nous !
Je suis ravi et soulagé, bien entendu !
D'autant qu'il m'en donne la raison :
- d'abord, parce que l’équipier est né au Brésil,
- ensuite, parce que, quelques temps avant nous, un couple de français avec des enfants sur un voilier de passage avaient séjourné à la marina. Mais leur tenue avait été très incorrecte, et il avait été obligé les mettre dehors.
Nous, nous étions des gens "bien", et il avait révisé son jugement envers les français. Ouf !
Je retourne donc sur Kurma apporter la bonne nouvelle, et tout le monde saute de joie. La veille de notre départ, pour montrer notre reconnaissance, et pour la première fois, nous allons dîner au restaurant de la marina.
L’équipage en tenue de sortie s’installe donc et nous sommes reçus par l’épouse du Commodore qui vient d’apprendre la nouvelle de notre départ et est toute émue de savoir que nous emmenons notre nouvel équipier de 3 semaines sur la mer.
Pour faire bonne mesure, nous commandons des tas de bonnes choses qui ne resteront pas longtemps dans nos assiettes, et, à la fin de la soirée, après cet excellent repas, je demande l’addition.
La serveuse appelle sa patronne : celle-ci tient à nous souhaiter bon voyage… et avec toute la gentillesse du monde, nous offre ce repas pour que nous ayons un bon souvenir du Brésil et que nous revenions un jour montrer son pays au bébé…

Voyage, le bateau du chanteur Antoine
Au cours de notre séjour, nous rencontrons le chanteur Antoine sur son voilier "Voyage"

Plus de 7 mois ont passé depuis que notre arrivée au Brésil.
Et comme on le dit souvent pour ce grand pays : "Tu aimes ou tu n’aimes pas, mais il est impossible d’être indifférent !"
Nous, on a aimé !

 
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