NB : je n'avais ni GPS, ni SATNAV, ni radar : je naviguais au sextant
8 novembre 1981, 15h15. Terre !
21h10. Voilà l’île avec son doigt levé vers
le ciel.
Nous trouvons un mouillage qui roule beaucoup.
Loin de la plage.
Nous sommes seuls et tentons de joindre la terre pour les formalités.
Très acrobatique, l’arrivée sur la plage
se fait au surf nous avons pris les palmes et le canot nous a
servi juste pour avoir des vêtements secs, car nous nous
sommes mis à l’eau pour éviter de chavirer.
Pour le retour, nous verrons !
Nous grimpons dans le sentier qui nous mène vers le village.
Soudain, la musique de tout un orchestre arrive à nos
oreilles. Nous continuons notre escalade, et rejoignons une piste.
Là passe devant nous un camion à benne chargé d’une
dizaine de brésiliens qui tapent sur des jantes, le toit
du camion, enfin, partout où ils peuvent : voilà notre
orchestre !
Le camion s’arrête, et les occupants nous indiquent
la direction du village.
Nous allons enfin faire notre entrée au Brésil.
Mais non ! Espoir déçu, car ici, c’est une
base militaire…
et il nous faudra recommencer les formalités plus tard.
Cela n’empêche pas que nous pouvons rester quelques
temps.
Le soir même, trois jeunes brésiliens nous invitent à un
barbecue improvisé sur la plage. Quand nous arrivons,
l'un d'entre eux prépare la cocotte pour faire cuire les
langoustes que les deux autres sont partis pêcher en plongée.
A leur retour ils mettent les langoustes à cuire, ainsi
que du riz.
Après s’être rempli l’estomac, ils vont nous faire une démonstration de leurs talents de musiciens avec : des bidons, une cocotte, une jante de voiture avec un ressort coincé dedans… tout cela fera un orchestre formidable… c’est vrai que nous sommes au Brésil.
Pêche à Fernando de Norhona
Nous visitons l'île en compagnie de nos trois guides brésiliens.
Ils nous emmènent dans la montagne à la rencontre
des chèvres de l’île, charmantes avec leurs
longs poils noirs et surtout leurs yeux bordés de grands
cils.
Et aussi la baie où chaque année viennent se reproduire
les dauphins qui, lorsqu'ils naissent viennent, paraît-il,
jouer avec vous… mais nous ne sommes pas à la saison
des naissances.
Nous profitons aussi des fonds marins magnifiques… sauf
lorsque, par moments, les requins s'approchent : ils voudraient
bien aussi profiter de nos poissons, et dans ce cas, il ne vaut
mieux pas insister.
Un des équipiers de Brocéliande, un voilier qui
vient d’arriver, en a fait la fâcheuse expérience
: le requin l'a obligé
à monter sur un rocher et n'était pas décidé
à le laisser filer ! Ses coéquipiers ont été
obligés d'aller le chercher avec le dinghy, sinon il y
serait encore !
Kurma (rouge) et Brocéliande (bleu)
Nous devons bientôt quitter Fernando.
Ses habitants, dont nos trois copains, nous font cadeau d’une
carte postale sur laquelle ils ont inscrit leurs prénoms
pour ne pas qu’on les oublie : Cicero, Damiao, Antonio.
Nous voilà de nouveau en route vers le Brésil, et cette fois, Salvador de Bahia sera notre prochaine étape. Nous avons perdu sur la radio notre contact de Bahia, mais ça n’a pas d’importance, nous avons pensé à noter son numéro de téléphone !
L’alizé
nous y emmène sans problème et nous entrons enfin
dans La Baie de tous les Saints après 5 jours de navigation
assez calme.
Nous accostons directement derrière la grande jetée
au pied de cette ville de plusieurs millions d’habitants.
Plutôt que de choisir une marina, nous préférons
mouiller dans l’enclos de la marine.
L’accueil est chaleureux, mais nous devons faire attention à ne
pas choquer les militaires : tenue correcte exigée, et
il nous est demandé d'attendre le matin que le drapeau
soit monté avant de sortir devant les sentinelles.
Nous sommes bien gardés !
Nous visitons le "mercado modelo", les rues de Bahia,
les églises (au nombre de 200).
Puis nous téléphonons à nos amis pour leur
dire que nous sommes bien arrivés.
André et Vera viennent nous chercher au bateau et nous kidnappent pour un séjour de deux semaines chez eux, du coté d’Itaparica. Nous passons ensemble des moments
Mon amie profite de cette escale civilisée pour aller
voir un gynécologue que lui a conseillé Vera.
Elle se rend à la consultation et se déshabille.
La découvrant nue, la gynécologue se met à pousser
de grands cris, tire tous les rideaux et l’oblige à se
rhabiller. Ensuite, sans la toucher, elle l’ausculte
du regard et lui annonce que sa grossesse se passe bien !
Bien sûr, mon amie est surprise, mais nous apprenons
que, dans ce pays, les médecins font leurs études
aux USA et emploient des techniques modernes… mais
ils gardent les tabous de leurs ancêtres, qui leur
interdisent de toucher une femme enceinte.
Résultat : si, au dernier moment, l’accouchement
ne se passe pas bien… ils procèdent sans scrupule à une
césarienne.
A notre retour de vacances, et pendant 2 semaines, nous participons
malgré nous au carnaval. Pendant cette période,
jour et nuit, nous vivons au rythme de la samba. Bien que nous
soyons amarrés
à distance de la ville, la musique nous empêche
de dormir ou nous réveille en sursaut.
Alors, pour ne pas être en reste, nous nous mêlons à la
foule qui suit les blocos, écoles de samba, qui sont séparés
de la foule par une corde, et surtout les orchestres : il s'agit
de trios electricos , de gros camions décorés bardés
de baffles de milliers de watts, sur le toit desquels sont juchés
les musiciens qui jouent sans fatigue la musique locale, (axé baiano,
un mélange de reggae et de samba).
La foule danse et saute tellement qu'on l'a surnommée
pipoca (pop-corn).
Nous rencontrons des hommes qui dansent, une bouteille de rhum à la
main, en perfusion directe dans les veines !
Sur le toit d’un camion de musique, une lance à incendie
projette sur la foule du trichloréthylène. Nous évitons
de rester
à proximité, car je suppose que ce n’est
pas très sain !
A Bahia, le carnaval est vraiment le "carnaval du peuple",
les costumes des écoles de sambas ne sont pas aussi fastueux
qu’à Rio.
Mais tout le monde participe et c’est très impressionnant
de faire partie de cette foule en délire qui danse sans
arrêt jour et nuit.
Bahia fête aussi la mer, et ce week-end, toutes les embarcations se réunissent sur l’eau pour faire la fête.
Fête de la mer à Bahia
Mais le temps passe. Nous décidons de quitter un peu
la ville, et d’aller nous promener dans la baie.
Nous découvrons un petit village sympathique sur l’île
d’Itaparica. Tous les matins, les gens vont, avec leur âne
et leurs jerricans, chercher l’eau à la fontaine
du village. De l'eau gratuite et minérale ! J’en
profite pour faire le plein du réservoir.
Dans un autre endroit de la baie, une magnifique cascade descend
de la montagne, et au pied, les pêcheurs ont construit
un bassin où il fait bon se rafraîchir.
Nous continuons en prenant l’initiative de remonter le
Rio Paragaçu.
Depuis notre périple au Sénégal, nous avons
l'habitude de remonter de petits cours d'eau !
Nous découvrons les barques de transports à voiles
qui font le va-et-vient depuis l’intérieur pour
amener à Bahia les fruits et légumes du marché.
Au bout de cette rivière, nous sommes arrêtés
par un pont. Nous visitons le joli village de Cachoeira avec
ses rues en pente.
De retour à Bahia, nous explorons la vieille ville et
allons voir une
école de "capoeira". A la fois danse et technique
de combat, cela ressemble à la boxe française.
Sur le port, pour quelques pièces, les conteurs vous proposent
de raconter votre propre voyage, accompagnés de leur guitare,
comme nos troubadours d'antan. Et tout le monde écoute.
Le mois d'avril s'achève. Après cinq mois passés
dans cette région qui nous enchante, nous devons rejoindre
Recife pour des formalités au Consulat. En effet, notre
nouvel
équipier en fabrication ne va pas tarder à arriver.
Il nous faut donc trouver un endroit tranquille pour rester quelques
temps pas trop loin de la civilisation.
Et surtout trouver le Consulat français très rapidement,
car ici, on ne plaisante pas avec les naissances ! Mon amie devra
s'y présenter avec son gros ventre pour prouver sa situation.
La future maman n’est plus en état de prendre la
mer. Alors, elle prend le bus jusqu'à Recife où des
amis de André
et Véra l’accueillent chez eux pour quelques jours
tandis que je fais la traversée seul à bord.
Harry, sa femme et ses enfants feront tout et même trop
pour choyer cette nouvelle maman, mais elle sera contente de
les laisser et de retrouver le calme de Kurma.
Trois jours de mer, et nous y voilà.
Nous nous installons à la marina et rencontrons le Commodore,
qui en est avec sa femme le gérant. Ici, il n’y
a pratiquement que des bateaux à moteur appartenant à des
Brésiliens fortunés, sociétaires de ce port
de plaisance.
Bien sûr, nous demandons le prix et restons complètement
abasourdis : cela va nous coûter 15 dollars par jour pour
profiter de cette magnifique marina.
Dans notre tête, nous faisons rapidement le calcul : dans
combien de temps le moussaillon doit-il arriver ?
Et, discrètement, nous repartons sans avoir demandé s’il
fallait verser une avance.
Plage à Recife
Derrière la marina, entourée d'un grand mur et
gardée jour et nuit, il y a 4 ou 5 kilomètres de
favelas que nous traversons pour aller faire les courses.
Nous sommes un peu inquiets au début, mais mise à part
la curiosité
des habitants, nous ne rencontrerons jamais aucun problème.
Au cours des semaines précédant l'accouchement,
nous apprenons
à les connaître.
Nous entrons en relation avec un gynécologue qui accepte,
non sans mal, de faire un accouchement normal. Notre amie brésilienne
de Recife nous a expliqué qu'ici, les femmes blanches,
ou celles qui ont de l'argent, décident généralement
du jour de leur accouchement. Elles prennent alors rendez-vous
avec la clinique, et, la veille du jour J, se rendent chez l’esthéticienne
et le coiffeur. Enfin prêtes, elles se présentent à la
clinique comme prévu, et l’accouchement est fait
par césarienne, sous anesthésie totale.
Elle-même a eu cinq enfants de cette façon !
Quel folklore ce jour-là !
J'ai dû me faire passer pour un médecin afin de
pouvoir assister
à l'accouchement, ce que les hommes d'ici ne font jamais.
Et pour clore le tout, le médecin –le vrai- a été en
retard, tellement en retard que l’infirmière de
service a du faire son travail. Finalement, tout s’est
bien terminé et le mousse est content de son arrivée.
Le médecin ne s'étant pas montré, nous avons
fait l'économie de ses honoraires… et le lendemain,
tout le monde a été
de retour sur Kurma.
Tous contents de retrouver le calme…
Mais je dois me transformer en infirmier pour soigner ce petit
monde.
Damien va immédiatement avoir droit à son passeport
brésilien, car c’est la loi.
Pour cela, il nous faut des photos d’identité.
Et la course (à pieds) commence, de photographe en
photographe, car aucun ne fait de photo en couleurs.
Enfin, en voici un qui nous fait la photo du siècle
: il oublie de mettre la pellicule ! Heureusement, il s’en
aperçoit avant que nous repartions, alors on recommence… et
le lendemain, il vient jusqu’au bateau nous dire… qu’elles
sont ratées.
Heureusement que sur le chemin du retour, nous avions fait
faire des photos noir et blanc chez un autre professionnel.
Et finalement, celles-ci ont suffi à l'administration
brésilienne… d'autant que quelques semaines
après, la photo ne serait plus vraiment ressemblante
!!!
Mais voilà de nouveaux petits problèmes : nous
avons finalement dépassé le temps imparti au visa,
et nous devons payer une amende ! Pourtant, la douane nous avait
certifié
que, dans notre situation, nous n’aurions aucun souci !
Le plus amusant est cependant lorsqu'on nous dit, avec le sourire,
que le bébé, lui, peut rester ! Évidemment,
il est brésilien pas nous !!!
Nous sommes en juin 1982, et c’est la coupe du monde de
football.
Le Brésil et les Brésiliens sont bien sûr
sont dans tous leurs états, et nous accélérons
notre départ
à cause de la note de la marina.
Enfin, un matin, je me rends au bureau du Commodore chercher
la "douloureuse".
Celui-ci demande la note à sa secrétaire, la lit,
et me regarde…
puis, tranquillement, la déchire et m’annonce que
ce sera gratuit pour nous !
Je suis ravi et soulagé, bien entendu !
D'autant qu'il m'en donne la raison :
- d'abord, parce que l’équipier est né au
Brésil,
- ensuite, parce que, quelques temps avant nous, un couple de
français avec des enfants sur un voilier de passage avaient
séjourné
à la marina. Mais leur tenue avait été très
incorrecte, et il avait été obligé les mettre
dehors.
Nous, nous étions des gens "bien", et il avait
révisé
son jugement envers les français. Ouf !
Je retourne donc sur Kurma apporter la bonne nouvelle, et tout
le monde saute de joie. La veille de notre départ, pour
montrer notre reconnaissance, et pour la première fois,
nous allons dîner au restaurant de la marina.
L’équipage en tenue de sortie s’installe donc
et nous sommes reçus par l’épouse du Commodore
qui vient d’apprendre la nouvelle de notre départ
et est toute émue de savoir que nous emmenons notre nouvel équipier
de 3 semaines sur la mer.
Pour faire bonne mesure, nous commandons des tas de bonnes choses
qui ne resteront pas longtemps dans nos assiettes, et, à la
fin de la soirée, après cet excellent repas, je
demande l’addition.
La serveuse appelle sa patronne : celle-ci tient à nous
souhaiter bon voyage… et avec toute la gentillesse du monde,
nous offre ce repas pour que nous ayons un bon souvenir du Brésil
et que nous revenions un jour montrer son pays au bébé…
Au cours de notre séjour,
nous rencontrons le chanteur Antoine sur son voilier "Voyage"
Plus de 7 mois ont passé depuis que notre arrivée
au Brésil.
Et comme on le dit souvent pour ce grand pays : "Tu aimes
ou tu n’aimes pas, mais il est impossible d’être
indifférent !"
Nous, on a aimé !